« A Terre! » d’Olivier Marguerit : de la page blanche à un très grand album pop
Ce bateau ivre est enchanteur : en racontant « sa petite personne », entre noyade dans un verre de whisky et vertiges de l’amour, O, alias Olivier Marguerit, livre avec A Terre! l’un des plus beaux disques de chansons françaises de l’hiver (on aurait bien dit de l’année, mais c’est peut-être un peu tôt pour ce genre de formules). Ce n’était pas vraiment une surprise, tant Un Torrent, La Boue, son premier album sorti en 2016, avait déjà ce côté charmant, taquin et profondément intime. Mais trois ans plus tard, O et son pseudo le moins googlable du monde ont passé une vitesse, offrant aux textes-poèmes en français d’Olivier Marguerit une production plus pop, plus dense, plus… produite. De quoi mettre en lumière des mélodies imparables, qui finissent par ressembler à des petites comptines que l’on a très envie de chanter en choeur – et ça tombe bien, il y en a plein, des choeurs, dans ce disque parlant de terre, de vertige, de crises existentielles et de bibine.
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On a l’impression avec A Terre que ton projet O prend une autre dimension, avec un disque bien plus produit et pop.
Oui, puisque j’ai fait tout le premier album avec mes petits synthés et ma guitare. Là je voulais des interventions d’autres musiciens, dont les musiciens avec qui je suis sur scène. Je voulais qu’il soit beaucoup plus pop, ou en tout cas moins sinueux, car je suis parfois parti dans des structures assez alambiquées sur Un torrent la boue. J’espère qu’A Terre est plus ouvert, plus tonique et ensoleillé.
Tu as également utilisé pas mal de cuivres tout au long de l’album, ce qui ne t’étais jamais arrivé auparavant…
Je voulais une couleur d’un instrument que je n’avais jamais utilisé, qui marquerait le disque en pointillé. J’ai fait appel à un mec que je connais depuis très longtemps, Ferdinand Doumerc, qui était avec moi au lycée et que je trouvais super fort à l’époque. Je l’ai recontacté pour qu’il fasse un solo de saxo dans « A Terre », et que ce saxo colore le disque un peu partout.
Tu es multi-instrumentiste, tu as déjà joué des cuivres ?
J’ai joué un peu de sax il y a très longtemps, et je joue un peu de trompette. Comme j’ai fait une école de jazz, j’ai appris à écrire pour ces instruments là. Mais on ne les utilise pas tant que ça dans la pop, ça sort un peu du tandem guitare-batterie.
Il y a également beaucoup de choeurs de femmes dans cet album. On y retrouve Mina Tindle, qui t’accompagne par ailleurs sur scène, Maud Nadal de Halo Maud et Emma Broughton avec qui tu joues dans Thousand.
C’est mes copines ! J’ai commencé à faire de la musique adolescent parce que c’est une activité sociale. C’était pour être avec mes copains, pour se voir le mercredi, répéter et passer du temps ensemble plutôt que d’aller traîner. C’est toujours comme ça aujourd’hui, et j’avais envie de m’entourer de mes copines pour ce disque, pour avoir un contre-point à mon chant. Je voulais qu’on me contre-dise, qu’on me rassure, qu’on me dise des trucs, et j’ai imaginé ce choeur de filles qui pourraient commenter ce que je dis, chanter parfois avec moi, parfois contre moi. « Ce Bateau » fonctionne comme ça, « Les Pédales » et « En Chute libre » aussi.
Pour l’écriture aussi tu t’es imposé des cadres ou des sujets se retrouvant tout au long du disque ?
J’ai besoin d’un cadre pour écrire. La thématique de la chute et du vertige se retrouve tout au long de l’album, le fait de perdre ses repères et les pédales, avoir l’impression de tomber. C’est un thème récurrent, mais ça reste assez libre, je voulais vraiment avoir une collection de chansons, un peu comme un best-of. Toutes les chansons ont une individualité propre, et je voulais qu’elles soient un peu catchy, plus pop en somme.
Pourquoi le vertige ?
C’est un truc qui est assez présent dans ma famille, ou en tout cas chez les hommes de ma famille. Je me disais qu’il y avait peut-être un truc à travailler, et ça renvoie à d’autres peurs.
Comme le vertige de se lancer en solo après des années à être musicien pour les autres ?
Comme j’ai commencé par faire mes trucs dans mon coin sans aucune velléité commerciale, je n’ai pas eu cette pression énorme du premier album. Ça s’est fait tout doucement. Le moment où j’ai senti ce truc vertigineux en effet, c’est pour ce nouveau disque. Est-ce que je suis capable de faire un deuxième album ? Est-ce que j’ai encore des choses à raconter ? J’avais l’impression d’avoir fait complètement le tour. C’est là que j’ai ressenti ce vertige. Et finalement, c’est ça qui a nourrit la page blanche. J’ai envisagé à un moment de ne pas faire un disque centré sur ma petite personne, et fantasmé de faire un disque politique. Un disque où je parle de la société dans laquelle je vis. C’est quelque chose que je garde en tête, même si là j’ai à nouveau fait un disque autour de moi-même, un peu sentimental, intime.
Certains titres de cet album comme du précédent sont en effet très intimes, comme « Mon Echo » qui parle de la naissance de ta fille. Est-ce qu’il est difficile de ne pas vider la chanson de son sens après l’avoir chanté des centaines de fois devant un public ?
Ça dépend des morceaux, mais sur certains j’arrive à retrouver le truc un peu essentiel du début, du moment où j’ai voulu l’écrire. « Mon écho », je ne la chante pas en automatique, j’aime toujours beaucoup la jouer. Mais ça peut évidemment être un problème oui, il faut toujours réussir à retrouver l’état dans lequel tu étais quand tu as composé le morceau, pour que les mots aient toujours du sens, et que tu ne te retrouves pas à penser à ta liste de courses. Ça m’est déjà arrivé, il n’y a pas longtemps. Et c’est chiant, tu as l’impression de ne pas avoir été juste, tu n’es plus dans le concert et tu n’es pas content de toi.
Te livres-tu différemment sur cet album ?
Le premier album parlait de ma sexualité, de ma fille, de mon ancêtre : c’était un portrait un peu général de moi. Sur celui-là, c’est plus dilué, plus métaphorique, j’y raconte ce que je traverse quitte à ce que ce ne soit pas hyper évident de comprendre de quoi je parle.
Tu écris constamment ?
J’ai toujours un petit carnet sur moi pour noter des idées. Mais je n’y note pas de texte à proprement parlé, je n’ai pas ce réflexe du poète qui écrit tout le temps. J’écris vraiment quand je dois écrire une chanson, quand la musique est déjà là, que la mélodie est bien troussée et que je dois remplacer des notes par des mots. Là je ressors mon petit carnet et je me mets à écrire les paroles.
Il y a beaucoup de référence à la nature dans tes textes, de la boue et le torrent de son premier album à cette terre omniprésente dans le second. Tu as grandi dans les Yvelines, tu vis en ville, comment tu expliques cette obsession ?
J’ai une image qui m’obsède, une peur que je traîne, c’est le fait d’être enterré. Je ne sais pas pourquoi, je suppose que c’est lié à l’idée de la mort, d’être sous terre, d’être emprisonné. La terre est presque quelque chose qui me fait peur. Et puis il y a un truc que j’ai verbalisé pour la première fois il y a peut-être deux ans : je savais très bien que mon prénom était un arbre, et que mon nom de famille était une fleur, mais je n’avais jamais tilté à quel point mon identité au complet était végétale. Je suis quelqu’un d’urbain, j’ai grandi en banlieue parisienne, et j’ai envisagé d’appeler ce disque Arbre Fleur et de parler de mon rapport à la ville, de mon identité végétale. Il en reste des petits bouts dans le disque final, comme dans A Terre, où je tombe, m’enfonce dans la terre et devient un arbre en quelque sorte. L’eau est très présente aussi. J’habite toujours à la ville pourtant, je n’ai même pas vraiment envie de la quitter. J’aime être avec mes congénères, je trouve que la ville c’est un champ d’observation et d’expérimentation génial.
O – Olivier Marguerit sera en concert le 28 mars au FGO-Barbara et le 29 au Tétris au Havre.