« Buoys » : le nouvel album pop et futuriste de Panda Bear inspiré par la trap
Buoys est un nouveau départ. À l’écoute du disque, les textures et les formes sont familières. Production éthérée, harmonisations vocales réverbérées et fioritures électroniques signent le style Panda Bear. Mais si les obsessions du leader d’Animal Collective n’ont pas changé, elles se mettent cette fois-ci au service d’une vision nouvelle. Comme pour mieux rompre avec la trilogie Person Pitch – Tomboy – Panda Bear Meets The Grim Reaper et imaginer la pop sixties du futur. Pas de tentation rétrofuturiste cependant : ici, il n’est pas question de machines vétustes ni de mélodies nostalgiques comme chez bon nombre de groupes indés. Au contraire, Buoys est un album de son temps qui joue avec une panoplie de sonorités contemporaines dont celles de la trap. D’ailleurs, son auteur s’est même essayé à l’autotune pour la première fois. Aidé par Rusty Santos – son collaborateur de longue date, à l’origine de récentes productions trap et reggaeton -, par le musicien Dino Di Santiago et par la DJ chilienne Lizz, il nous livre ici un disque inspiré, qui fait le grand écart permanent entre instrumentation acoustique et production numérique. Le pari est audacieux mais néanmoins réussi, ce qui nous a poussé à poser quelques questions au principal intéressé. On a donc discuté avec lui de ses techniques de production et de ses influences musicales. Au banc des inspirations : des disques de pop psychédélique et d’ambient mais aussi, plus surprenant, de la trap, de la soul et même un ballet de musique classique. Rencontre :
Ton nouvel album Buoys semble être la synthèse d’une production à la fois très acoustique et très numérique. Ça s’est souvent ressenti dans ton travail, mais cette fois-ci tu as poussé cette dichotomie à l’extrême. Peux-tu nous expliquer cette démarche ?
C’est difficile à dire. Je dirais que Rusty et moi n’y avons pas vraiment pensé au commencement du disque. Une fois que nous avons remarqué que ça fonctionnait, le but a été d’utiliser l’aspect performatif de la musique, c’est-à-dire juste une voix et une guitare, et d’essayer de les faire sonner de manière très produite. Et c’est en quelque sorte devenu le propos ou l’objectif de toutes les chansons, avec cette idée de faire sonner les voix comme du plastique ou de les manucurer. Ça a aussi été le cas de la guitare. Le son de la guitare était probablement le plus difficile à traiter. Et ça a donné ça… Pour ce qui est de l’inspiration, c’est plus qu’on voulait que ce son s’intègre à des trucs actuels qui nous plaisent, à Rusty et moi.
Pourquoi avoir voulu moderniser la production ?
Je n’avais aucune envie de me travestir ou de faire quelque chose de malhonnête ou de bidon. Toutes ces choses auxquelles je fais référence du point du vue de la production m’ont généralement enthousiasmé. Mais il y a en partie aussi la volonté de parler de musique avec mes enfants. Et ce qu’ils considèrent comme de la musique normale est vraiment fascinant pour moi. De cette façon, je voulais sentir que mes paroles de chansons visaient des gens de leur âge. Je souhaite faire quelque chose qui, au moins en apparence, leur apparaît comme familier. Et encore une fois, je parle de choses que j’aime beaucoup aussi. On dirait que j’essaie d’enfiler un costume ou de faire quelque chose qui ne me ressemble pas. Mais c’est juste un peu différent en termes de perspective et comparé à ce que j’ai pu faire par le passé.
Entre Rusty et toi, qui a fait quoi sur l’album ?
Avant son arrivée, j’avais écrit les parties de guitare, le chant, les paroles et j’avais des éléments de boîte à rythmes pour chaque chanson. Il y a quelques chansons où l’on peut encore entendre le matériau d’origine, mais pour la plupart des titres, nous avons remplacé tous ces éléments électroniques par beaucoup d’autres choses. Et Rusty a été impliqué dans toutes les parties du processus, qu’il s’agisse des démos que j’avais faites, des guitares, du chant, des drums et du produit fini.
Sur cet album et comme souvent dans tes morceaux, les chansons contiennent très peu de basses…
Oui et non. Pour moi, le dub est une musique au son parfait. Dans une sphère plus contemporaine, la trap, notamment produite par Rusty, suit le même modèle, sauf que tous les éléments sont poussés à l’extrême. Donc, plutôt qu’une guitare basse ou quelque chose dans ce genre de gamme de basses ou de hautes basses fréquences, on s’enfonce plus profondément dans les graves. Ensuite, au lieu d’un son de charley acoustique, on a quelque chose qui est vraiment numérique et un peu plus croustillant. Et enfin le chant et tous les effets appliqués sur la voix définissent en quelque sorte l’espace entre ces deux éléments. Je voulais vraiment arriver à un résultat qui reflète ce genre d’architecture sonore. C’est donc comme si je n’avais plus rien dans cette gamme de basses fréquences. Toutes les basses ont été poussées beaucoup plus en profondeur, d’où cette impression. Mais elles sont là : ce sont surtout des samples de 808, des trucs comme ça, qu’on a ajusté à la tonalité de chaque chanson.
L’album évoque un environnement aquatique avec notamment des samples de gouttes d’eau. Était-ce pensé d’avance ? Pourquoi cette attirance pour ces textures sonores ?
Je ne peux pas vraiment dire que c’était quelque chose que j’avais planifié, c’est plutôt venu naturellement. Mais effectivement, je l’ai remarqué. Au fil des années, le thème de l’océan et de l’eau est omniprésent. Je ne peux pas vraiment mettre le doigt dessus, mais toutes les villes dans lesquelles j’ai vécu ont toujours été situées près de la mer. Du coup je pense qu’il y a quelque chose à propos de la mer qui me fait me sentir à l’aise, en sécurité ou à la maison. Et si je devais m’auto-psychanalyser, je dirais que l’océan représente pour moi une sorte d’inconnu ou de frontière. Je pense que ce serait l’explication la plus pertinente.
Tu as listé les artistes qui t’ont influencé sur ton disque Person Pitch, parmi lesquelles on trouve tes références adolescentes comme ELO ou The Police. Avec du recul, lesquelles résonnent avec ta musique aujourd’hui ?
Je dirais la plupart… La plupart sinon toutes. Mais je pourrais surtout compléter la liste. Pas seulement avec des choses modernes, mais aussi avec des références plus anciennes que des amis m’ont recommandées ou que j’ai pu trouver en surfant sur Internet. Mais dans ce qui ressort de tout ça, il y a probablement Daft Punk, en partie parce que j’ai fait un morceau avec eux. C’est peut-être une réponse facile mais bon… Il y aurait aussi George Michael même si ça n’est pas si évident que ça.
Il y a quelque chose en particulier chez Daft Punk ?
Il y a deux choses. Ce qui m’inspire le plus, c’est plutôt la façon dont ils explorent les choses. Et puis, ils n’ont pas fait deux fois le même disque. Ils ont des idées.
Donc ça concerne plutôt leur carrière ?
Oui, il s’agit plus de leur capacité à garder les choses fraîches et à tenter des trucs. Tu vois, un peu comme leur show pyramidal. Pour moi, c’était un événement au même titre qu’une sortie d’album. C’était ce sur quoi ils voulaient se concentrer, ce spectacle, cette scénographie et toutes ces idées concernant leur musique. Il arrivent à penser hors du cadre, et c’est quelque chose que je trouve très inspirant.
En 2015, tu as mentionné des albums d’ambient comme Pop de Gas ou Chill Out de The KLF pour le magazine Entertainment Weekly. Comment ce style t’a-t-il influencé ?
L’album Pop de Gas est un classique pour moi. Wolfgang Voigt a son propre style parce qu’il n’y a rien de reconnaissable dans sa musique. C’est un peu extraterrestre d’une certaine façon. Et puis ce type est un maître à coup sûr. Je pourrais remonter aussi jusqu’à UF Orb par The Orb. Et puis Music For Airports de Brian Eno. Ce sont deux des premières choses que j’ai entendues où j’ai senti quelque chose d’informe et d’impressionniste qui me plaisait beaucoup. Brian ou Dave d’Animal Collective m’ont également fait écouter Chill Out de The KLF. J’ai vraiment aimé ce genre de voyage qui t’embarque. Bon, c’est vrai que ça a l’air un peu cheesy dit comme ça. Mais j’aimais la façon dont certains sons que je reconnaissais, comme des roues de moto par exemple, produisaient instantanément en moi certaines émotions. Ce type de sons pourraient ne pas être considérés comme musicaux. Mais j’ai vraiment apprécié la façon dont ils colorent l’expérience, une fois injectés dans le processus musical. J’ai trouvé ça vraiment cool.
Quel disque représente le mieux le « psychédélisme » pour toi ?
Chill Out fonctionne assez bien… Je cherche des choses dont nous n’avons pas encore parlé. Peut-être la suite Casse-Noisettes de Tchaïkovski ? C’est de la musique super synesthétique pour moi. C’est très coloré, ça me fait rêver et voyager.
Ton harmonisation des voix amène souvent les médias à citer Pet Sounds des Beach Boys. Tu as aussi parlé d’autres influences comme les Beatles ou les Zombies. Qu’est-ce qui t’as marqué dans la musique des années 60 ?
J’ai probablement mentionné des choses un peu plus anciennes comme Four Tops, Sam Cooke ou le groupe Incredible String Band… Bon, ils ne sont peut-être pas si cools que ça, mais il y a beaucoup de chant dans leurs morceaux. Il y a Supremes, tout comme des groupes de filles des années 50, des trucs de la Motown et aussi des titres de Phil Spector qui a fait partie de l’histoire de Brian Wilson. Du coup je suppose que ça a du sens d’en parler.
Il y a un album spécifique de Brian Wilson ?
Je suis plutôt un type à chansons. Il n’y pas vraiment d’album que je pourrais choisir. Pas même Pet Sounds dont je ne suis pas entièrement fan du début à la fin. Je dirais peut-être Magical Mystery Tour des Beatles parce que j’aime quasiment toutes les chansons dessus.
Tu vis au Portugal depuis plusieurs années et sur cet album tu as travaillé avec Dino D’Santiago, un musicien portugais. Tu as fait des découvertes intéressantes dans la scène locale ?
Oui. Ce sont surtout des jeunes gens que je connais par ici et qui font de la musique. Il y a mon amie Maria Reis par exemple. Elle avait un groupe avec sa sœur qui s’appelle Pega Monstro et que j’aime beaucoup. Elle fait partie d’un collectif de gens qui ont un label appelé Cafetra. Ils ont fait beaucoup de choses par eux-mêmes comme des sorties sur internet. Ils s’occupent de leurs propres concerts et gèrent leurs business ensemble de manière autonome. Et c’est quelque chose que je trouve très inspirant. Il y a aussi le label Príncipe qui est en partie dirigé par mon ami Nelson… C’est presque strictement électronique et ce sont souvent des sons faits par des jeunes qui ont généralement des parents immigrés qui viennent d’Angola ou du Mozambique. Ils apportent un son frais.
D’autres recommandations ?
Des Américains comme Zaythoven, Mike Will Made It, Metro Boomin ou, bien sûr, Rusty. Il est vraiment doué dans ce qu’il fait. Il y a toujours quelque chose qui me parle dans les projets dans lesquels il est impliqué. Eric Copeland aussi est très bon. Enfin, il y a Dean Blunt, Ariel Pink, ou les morceaux solos de Dave d’Animal Collective.
Pour vous faciliter la vie, on a préparé une playlist thématique qui rassemble l’ensemble des morceaux, artistes et disques cités par Panda Bear au cours de l’interview. Bonne écoute !
Retrouvez une deuxième interview inédite de Panda Bear dans le dernier numéro de Tsugi.
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