2019 : l’année du synthétiseur modulaire ?
Ce mardi 7 mai, les machines investiront Concrete à l’occasion d’une soirée modulaire. Pour cette veille de jour férié, câbles multicolores, techno chaude, et boites à rythmes en délire se battront pour enflammer le dancefloor. Au programme, des lives de SCAN 7, Richard Devine ou encore Colin Benders… Pour se mettre à jour, retour sur la star de la soirée : le synthétiseur modulaire. Cyril Colom, responsable de la boutique modularsquare à Paris nous en disait plus en janvier dernier.
Alors que notre entretien vient à peine de commencer, il est aussitôt interrompu par un client prospectif. L’acheteur, qui produisait jusqu’alors de la musique sur son ordinateur, s’est récemment intéressé aux synthétiseurs modulaires, souhaitant obtenir un son plus « pur« . Quelques dizaines de minutes plus tard, il ressort de la boutique, un boitier et des modules sous le bras. Un exemple anecdotique mais qui traduit une tendance réelle de ces dernières années : la montée en popularité des synthés modulaires.
Cet objet atypique consiste en un ensemble de modules qui, combinés, forment un instrument. Pour les non-initiés, il est étonnant de se dire que ces morceaux de métal connectés entre eux par une foule de câbles puissent être à l’origine d’oeuvres. Et pourtant, des artistes aussi variés que Nine Inch Nails, Blawan ou Suzanne Ciani vous le confirmeront : ces machines permettent de pousser les limites de l’exploration musicale, et elles font aujourd’hui plus que jamais parler d’elles.
La complexité du modulaire, « un faux-ami«
La commercialisation des premières synthétiseurs modulaires intervient dans les années 60. Cependant, le produit est rapidement mis de côté. En cause : la taille importante de ses premières versions et l’émergence de synthétiseurs numériques, portables et permettant de sauvegarder les différents paramètres tels que le réglage du filtre ou le ton.
Modularsquare est fondé par deux passionnés en 1998, une période où « personne ne s’intéressait au modulaire« . Pourtant, il était difficile de parier sur l’essor de cette technologie. « Au cours des années 2000, toute la production musicale est dominée par l’ordinateur. Le retour de bâton a commencé à se faire sentir vers 2006 ou 2007« . Un début d’évolution qui peut être expliqué de plusieurs façons. La première, selon Cyril Colom, la quête d’une « interface physique pour manipuler des sons électroniques« . La deuxième, plus étonnante, « l’envie de faire de la musique plutôt qu’apprendre de la technique« .
Pourtant, au premier regard, le modulaire semble infiniment plus compliqué qu’Ableton ou Fruity Loops. « Un faux-ami » selon l’intéressé. « Pris dans son ensemble, une installation modulaire peut paraitre complexe, mais en décomposant ça devient très accessible« . Le fonctionnement de chaque module, considéré individuellement, serait au final très simple. Plus simple que d’autres instruments, comme la guitare ou le clavier, considérant qu’il n’y a « pas de maitrise physique nécessaire, pas de doigté particulier à apprendre« . Mais plus simple, aussi, qu’un logiciel informatique « qui demande à ce que l’on comprenne son fonctionnement« . Moins académique, moins technique, l’apprentissage se fait ici « de façon empirique, par tâtonnement. On fait des expériences et on voit ce qui marche« .
Des raisons tout à fait rationnelles, donc, pour expliquer cette hausse en popularité. Cependant, comme pour tout produit qui connait une émergence subite, une question se pose immédiatement : ne s’agirait-il pas d’un phénomène de mode ? « En partie« , reconnaît Cyril Colom. Pour son édition 2015, le Weather Festival avait réservé une petite scène aux lives modulaires. De quoi attiser la curiosité des festivaliers. « A partir de là, il y a eu un vrai changement. On a vu beaucoup de gens entrer dans la boutique après avoir vu ça ». Une vague d’intérêts à tempérer néanmoins : « Ça reste une niche dans le marché global des instruments de musiques« .
Un sursaut de popularité voué à s’arrêter ?
Dans la pratique musicale actuelle, le fonctionnement du modulaire détonne. « Les gens se sont habitués à des produits pas chers et rapides d’utilisations« . Et il n’est ni l’un, ni l’autre.
Si l’apprentissage de l’instrument en soi est abordable, son utilisation est incomparable avec celle des outils musicaux informatiques. Alors que ces-derniers permettent la sauvegarde de projets de morceaux, celle-ci est évidemment impossible avec un instrument physique. Ce qui apparait être une limitation pour les musiciens habitués aux ordinateurs finirait par être « très agréable« . Une découverte de la pratique récréative, mise de côté par ces différents logiciels : « C’est libérateur. Pleins de gens découvrent qu’on peut faire de la musique sans être productif. De la même façon qu’on peint ou qu’on sculpte pour son plaisir personnel, on re-découvre cette possibilité pour la musique« .
Autre plafond de développement : le prix. L’achat d’un boitier et de modules peut rapidement atteindre plusieurs centaines d’euros, voir plus. Là encore, Cyril Colom rappelle que ce n’est pas un caractère propre au modulaire, le facteur économique étant un frein « comme pour tous les instruments« . Cependant, des raisons spécifiques peuvent expliquer le prix de ce type de synthétiseurs. Contrairement à beaucoup de produits musicaux contemporains, « ils sont souvent fabriqués localement par des petites entreprises, impliquant un coût beaucoup plus important qu’un produit manufacturé à la chaine« . Un « marché particulier » qui nécessite de la part des entreprises qui y prennent part des investissements importants en recherche et développement. Les utilisateurs sont toujours à la recherche « de nouveauté, d’un caractère unique, ce qui empêche l’existence de produits génériques« . Une communauté exigeante, mais qui a aussi joué un rôle dans la popularité de l’instrument.
Quel avenir pour le modulaire ?
Amateurs et professionnels, jeunes et plus âgés : on trouve de tout parmi les aficionados de synthétiseurs modulaires. Que l’intérêt récemment généré s’amoindrisse ou non, nombres de ces passionnés continueront à animer cette communauté. Sur internet, des forums spécialisés comme Muff Wiggler, synthe-modulaire.com ou encore Anafrog permettent l’échange d’idées et de conseils sur le sujet. Des rencontres physiques ont aussi lieues, avec par exemple des apéros organisés régulièrement par Modularsquare. « On tente le plus possible d’expliquer le fonctionnement et de permettre à chacun de le comprendre. Le modulaire est un univers infini donc les gens aiment se regrouper pour comprendre comment les autres se l’approprient. Ca permet d’améliorer sa propre pratique personnelle ».
Cyril Colom ne cache pas que le modulaire pourrait connaître à l’avenir une chute de popularité, « comme tous les produits de consommation ». Il est cependant pour lui inenvisageable que l’instrument disparaisse : « la pertinence du modulaire est aujourd’hui très fortement ancrée dans les pratiques« . Outre la question de la popularité, la question de l’influence se pose peut-être encore plus. Et à ce titre, l’avenir donnerait raison aux passionnés de synthèse modulaire. « Les futures instruments devront malgré tout assimiler les intérêts du synthétiseur modulaire : connectivité, prise en main facile, instruments ouverts sur l’extérieur. Les constructeurs qui ne prendront pas compte de ça avec leurs prochains instruments seront, à mon sens, dans l’erreur ».