Groupes émergents : s’inscrire aux iNOUïS du Printemps de Bourges, ça vaut le coup ?
« Bon, règle numéro 1 : quand on dort dans un tour bus, c’est les pieds vers l’avant, comme ça en cas de coup de frein vous ne vous explosez pas le crâne dans votre sommeil ». Malin, mais pas rassurant Max. Le Max en question ? Le régisseur général et chef de colo de cette tournée. La tournée en question ? Celle des iNOUïS du Printemps de Bourges, qui chaque année embarque les deux lauréats du tremplin et deux « parrains » sur quelques dates un peu partout en France. Quatre groupes, deux bus, une tonne de matériel, des régisseurs, des ingés son, des ingés light, des siestes, des apéros, quelques blagues graveleuses (en vrai, la règle numéro 1, c’est « only pipi dans le tour bus », mais on s’est dit que c’était pas dingue comme accroche d’article), des rencontres improbables entre groupes diamétralement opposés musicalement, et, au milieu de tout ça, Tsugi en immersion, en mode Bernard de la Villardière version mal des transports. L’occasion de découvrir de l’intérieur ce que ça veut dire que d’être un lauréat des iNOUïS du Printemps de Bourges.
« C’est une espèce de tremplin, c’est ça ? », demande un jeune rappeur bordelais assistant à une réunion d’information sur les iNOUïS à quelques heures du concert à la Rock School Barbey. Oui, c’est à peu près ça. Mais c’est aussi beaucoup plus compliqué. Et ça commence par une inscription. C’est peut-être la partie la plus facile du parcours, et ils sont dans les 3500 chaque année à essayer. Un groupe qui démarre – sont exclus de la fête les groupes se produisant sur scène depuis plus de six ans, les iNOUïS ne concernant que des projets « nouveaux » – doit simplement renseigner sur un site internet une photo, une biographie, une fiche technique et un plan de scène, et surtout trois ou quatre morceaux qui seront écoutés par l’ »antenne » de sa région (souvent un programmateur de salle) et ses équipes. Et là commence la sélection, séparée en quatre styles (chansons, hip-hop, musiques électroniques et rock) : les antennes régionales choisissent quelques groupes qui se produiront en concert, face à un public, lors d’auditions régionales – dans les 150 dans toute la France. Auditions auxquelles assisteront aussi les conseillers artistiques des iNOUïS, qui ramèneront dans leurs valises tous ces jolis projets à Paris, où pendant 15 jours les antennes, les conseillers, le programmateur du Printemps de Bourges et autres pros débattront et s’écharperont gentiment pour décider quels groupes le festival soutiendra cette année-là. Les meilleurs de ces auditions feront ainsi partie de la trentaine d’ »iNOUïS » qui partira à Bourges pour jouer devant un public et un parterre de professionnels, dont un bon paquet de programmateurs, de journalistes et de patrons de label. Pratique pour décoller. Dans la salle se cachera aussi un autre jury (décidément, ils adorent ça !) présidé par un artiste, comme Dan Levy de The Dø ce printemps, qui décernera deux prix. Les deux gagnants partiront alors en tournée, bénéficieront d’accompagnement pour professionnaliser leur projet, et de pas mal d’exposition. Cette explication, Rita Sa Rego, directrice du réseau Printemps, la servira plusieurs fois par soir, pour rassurer et guider les groupes débutants parfois un poil paniqués devant l’ampleur du bazar. « C’est vrai que c’était dur », se souvient Adrien, aux claviers chez Concrete Knives, iNOUïS cuvée 2011. « Quand on a joué à Bourges, on avait à peine dormi, on a fait nos balances à 7 heures du matin, attendu toute l’après-midi et pas mal stressé ». Depuis, le groupe normand a joué un peu partout dans le monde, et a été invité à parrainer cette tournée des iNOUïS 2018 – aux côtés de Theo Lawrence & The Hearts, promo 2016.
Ce long chemin, Rémi Sauzedde, alias Apollo Noir, l’a également emprunté l’hiver dernier, en s’inscrivant à Paris aux iNOUïS, catégorie musiques électroniques. Et personne ne s’attendait vraiment à le retrouver sur l’une des deux plus hautes marches du podium avec son live techno, parfois expérimental, bordé de quelques géniales touches drum’n’bass – pas forcément la proposition la plus accessible du tremplin. Mais le voilà, quelques mois plus tard, à jouer à la Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand, à quelques encablures de Thiers, sa ville d’origine – une partie de sa famille est d’ailleurs dans la salle. Et comme pour l’Ordre du Periph’, groupe de rap francilien également lauréat des iNOUïS cette année, tout a commencé en quelques clics par une inscription. Et vous voyez où on va en venir : elles viennent tout juste d’ouvrir, le lendemain du dernier concert de la tournée à la Boule Noire à Paris, dans le cadre du MaMA Festival. Mais alors, ça vaut le coup ? Spoiler : oui, plutôt. Mais dans certaines conditions.
Inscription, Bourges, tournée, dodo
Participer aux iNOUïS du Printemps de Bourges, on l’a vu, c’est se soumettre à un long process qui peut être éprouvant pour un tout jeune groupe. Dès l’inscription d’ailleurs. On résume : choisissez bien les trois titres que vous allez envoyer, sans hésiter à mettre votre titre le plus fort en premier, assurez-vous de vous sentir prêt et d’être déjà à l’aise en live, puisque c’est sur cet aspect que les groupes sont jugés à partir des auditions régionales. N’hésitez pas aussi à être déjà entouré d’un manager, ne serait-ce que pour avoir quelqu’un sur qui compter moralement pendant toute la durée du tremplin. Oui, ça a l’air d’un parcours du combattant. Et ça l’est : rappelons que sur 3500 groupes, seule une trentaine se retrouvera à Bourges, et deux gagneront le prix. Mais même sans gagner la timbale, le tremplin peut servir : beaucoup de salles et de dispositifs locaux aident les groupes à préparer leurs concerts, par des résidences, des conseils et du coaching. C’est le cas de la Rock School Barbey bordelaise, qui dispose de huit studios d’enregistrement et de répétition, ou de la Coopérative de Mai, qui héberge une pépinière de jeunes entreprises liées à la musique et au live, et qui propose des résidences en coopération avec le Tremplin, une salle voisine. De quoi donner un vrai coup de boost à un groupe émergent, qui a plutôt l’habitude de répéter dans son garage avant d’enregistrer le tout avec un micro pourri. Du côté pro, recevoir ces inscriptions permet de prendre le pouls de leur scène locale, de rencontrer des groupes qui feront peut-être l’actu de leur ville dans quelques années, de découvrir des talents qu’ils pourront pourquoi pas programmer en première partie d’une tête d’affiche en tournée. Pas mal.
« Je suis un peu nostalgique », glisse Morgan, la chanteuse des Concrete Knives, à Theo Lawrence, autour d’un petit déjeuner et sous le soleil de Bordeaux. C’est la dernière date de la tournée en province, avant le concert final à Paris quelques jours plus tard. Il faut dire que ça fait cinq jours que cette joyeuse bande hétéroclite vit dans ces deux bus, partage les longues après-midis d’attente entre les balances et le concert, apprend à découvrir la musique des uns et des autres. On peut difficilement faire plus varié pour cette sélection 2018 : Apollo Noir donne dans la techno donc, Theo Lawrence & The Hearts dans le neo-blues rappelant parfois The Black Keys et absolument bluffant en live (quelle voix!), Concrete Knives dans la pop mâtinée d’énergie rock et de tubes indie, et L’Ordre du Périph’ se posant en nouvelle révélation rap transformant sa (jeune) fanbase en amas de pogos et de wall of death en quelques punchline. Au-delà des styles différents, c’est sûr que de se croiser chaque matin au réveil avec la serviette sous le bras pour aller se doucher dans les loges de la salle qui les accueille ce soir-là, ça crée des liens. Avoir survécu à l’un des plus gros tremplins français, qui a vu passer dans ses rangs Fakear, Thylacine, Feu! Chatterton, La Fine Equipe, The Limiñanas, Fauve (et il y a un peu plus longtemps Frànçois & The Atlas Mountains, les Têtes Raides, Hocus Pocus, Jeanne Cherhal, Cocoon, Chinese Man, Beat Torrent ou Chapelier Fou), ça aussi ça crée des liens. Point d’orgue ? Un boeuf en fin de tournée, ou quand Concrete Knives a invité Apollo Noir et Theo Lawrence & The Hearts à les rejoindre aux percus pour un morceau de leur setlist et un joyeux bordel. En attendant, peut-être, de futures dates partagées ou une collaboration ? C’est tout le mal qu’on leur souhaite. De retrouver un lit décent où ils ne risquent pas de s’exploser le crâne, aussi.
Les inscriptions aux iNOUïS du Printemps de Bourges 2019 sont ouvertes du 18 octobre au 12 novembre.