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15 décembre 2015

Entretien : Odezenne, le goût de l’époque

par rédaction Tsugi

Groupe franc?ais flirtant avec l’e?lectronique, la chanson et le rap, le trio Odezenne sort un troisie?me album percutant dont les punchlines, sexe, drogue, alcool, de?sillusions, he?donisme, re?sument a? elles seules l’e?poque.

Comme Diabologum et NTM dans les anne?es 90, Fauve il y a quelques mois, Odezenne dit quelque chose de son temps. Surtout avec son nouvel album, le puissant et dense Dolziger Str.2, nomme? ainsi en hommage a? la rue de Berlin ou? ils l’ont enregistre? en autarcie. L’e?couter, c’est un peu comme entendre Houellebecq s’emparer d’un Bontempi pour faire danser les foules sur un dancefloor de fin de soire?e. A? travers des textes coups de poing, la socie?te? d’aujourd’hui est mise a? nue, une ge?ne?ration frappe?e par le cho?mage, la mort des illusions, les affres de l’amour 2.0 et une anne?e particulie?rement merdique (Charlie, les migrants), passe?e au scalpel ou pluto?t au stylo et aux synthe?s. Car ici, pas de politique, mais une prose combat, incarne?e par trois working- class heroes de 34 ans qui vivent tous en colocation a? Bordeaux avec leurs femmes, comme dans un mythe hippie. Les chanteurs/MC’s Alix et Jacques accompagne?s du compositeur, Mattia, posent un regard de?sabuse? et vrai sur leurs contemporains, tendant un miroir sombre et a?pre poussant a? l’identification. Cette carte postale radicale, triste et belle d’une France qui ne se le?ve pas to?t, mais dort pluto?t peu et mal a quelque chose de fascinant. Une France qui trai?ne au PMU, qui boit trop et qui a accueilli ces prophe?tes apocalyptiques comme des messies. Leurs pre?ce?dents tubes, “Tu pu du cu” (2011) et “Je veux te baiser” (2014) ont ainsi atteint 1 000 000 de vues et 800 000 vues YouTube, sans presse, ni radio, mais avec beaucoup de travail et de passion.

VIRTUOSITE DE LA MUSIQUE DE MAUVAIS GOÛT

A? la manie?re de Fauve, le mode?le de re?ussite d’Odezenne est bien de notre temps; gra?ce a? la toile. et au bouche-a?-oreille, le trio s’est fait un nom et a rempli les salles. Un succe?s DIY qui ne s’est pas construit en un jour. Car Alix et Mattia se sont rencontre?s pour la premie?re fois au colle?ge. Ce dernier raconte : “J’ai vu Alix en cours de guitare dans une maison des jeunes, sur le bassin d’Arcachon. On e?tait en classe de cinquie?me, on fumait des joints, on e?tait des ‘branleurs’, on aimait la musique, et on se marrait bien. J’arrivais de Milan, et lui de re?gion parisienne. On e?tait les deux petits nouveaux pas tre?s bien inte?gre?s. On est tout de suite devenu potes et on a forme? notre premier groupe de rock en quatrie?me, influence? par Hendrix : les Satanic Spirit. Apre?s nos chemins se sont se?pare?s, car Alix est parti a? Bordeaux puis a? l’e?tranger.” Le de?clic a lieu quelques anne?es plus tard, en 2004 (date du premier morceau poste? sur MySpace), alors que les chemins des deux amis se recroisent. Ils forment alors O2 Zen, d’apre?s le nom de leur proviseure (Mme Odezenne) qui les terrorisait a? l’e?poque : de?ja? une me?fiance du syste?me chez ces jeunes dans le doute. Alix raconte: “J’ai passe? du temps ailleurs, dont une anne?e en Angleterre, ou? je m’e?tais fait chier tout seul. Ma porte d’entre?e dans la musique a e?te? la solitude et l’ennui. Je suis arrive? avec plein de textes a? Bordeaux et j’ai propose? a? Mattia d’en faire quelque chose.” Mattia poursuit : “Je sortais d’une pe?riode hardtech, je pre?parais un live pour une free party, apre?s avoir e?coute? du me?tal, de la pop, du rock, ou la virtuosite? de la musique de mauvais gou?t (Dream Theater et Joe Satriani) avant que Nirvana m’apprenne le bon gou?t associe? au populaire. J’ai connu toutes les phases musicales sauf le reggae et le funk. Et puis Alix est arrive? et m’a dit : ‘Tu ne veux pas essayer de faire un peu de rap ?’” Entre 2001 et 2004, ce dernier e?coutait Madlib, MF Doom, La Rumeur, Lunatic, ce qui a influence? le son des de?buts du groupe. Pendant ce temps, Jacques peaufine sa plume, a? Choisy-Le-Roi : “J’ai arre?te? l’e?cole en troisie?me pour aller bosser a? Rungis, faire de la manutention pendant une dizaine d’anne?es (mes parents et ma sœur bossent eux aussi a? Rungis). Apre?s je suis entre? dans une asso pour re?aliser des ateliers d’e?criture. J’e?tais dans une compagnie de danse, pour laquelle j’e?crivais des textes de rap, avec la sœur d’Alix, qui n’arre?tait pas de me dire: ‘Il faut absolument que tu rencontres mon fre?re.’ J’ai rencontre? une femme qui e?tait de Bordeaux, j’y suis descendu et c’est a? ce moment-la? que j’ai rencontre? Alix et Mattia dans une soire?e e?tudiante et que tout a commence?.”

SELF MADE MEN

Le premier concert d’Odezenne a lieu en 2007, dans une cave bordelaise. Alix tient a? pre?ciser: “On ne s’est pas re?veille? un matin avec un million de vues, le parcours a e?te? long. C’est comme faire rouler un petit caillou qui grossit au fur a? mesure. On se bat au jour le jour, on n’est intermittents que depuis deux ans. On travaillait jusque-la? pour un site web de maquettes d’avions pour financer le groupe et tout re?investir dans du mate?riel, notamment des synthe?s comme le MS-20 ou le Synthi, afin d’abandonner le sampling.” En 2008, ils enregistrent un premier disque de rap jazz, Sans Chantilly. Quand les radios et les maisons de disques leur envoient des lettres de refus, ils ne baissent pas les bras. De manie?re inde?pendante, ils tracent leur route. Jacques explique ainsi le succe?s du groupe : “La constance. Tu te le?ves, tu penses a? la musique, tu te couches, tu y penses. Il y a me?me des moments ou? la musique est plus importante que ma femme, ma me?re, mon pe?re.” Ce qui touche, c’est d’ailleurs cette te?nacite?, empreinte d’authenticite?. Alix : “On rec?oit beaucoup de messages de fans qui disent qu’ils aiment notre co?te? soigneux, pas su?r de nous, le fait qu’on soit habite?s par le doute, laborieux, en marge des majors. On arrive avec des produits finis honne?tes (je ne dis pas qu’ils sont grandioses), dans lesquels on se reconnai?t.” Enregistrant un deuxie?me album hip-hop plus abouti, O.V.N.I. (2011), Odezenne enchai?ne les dates de concerts, avec une me?thode un peu particulie?re. Au lieu de de?marcher les salles, ils postent sur les re?seaux sociaux des messages demandant qui veut les voir jouer dans une ville, et attendent d’avoir 1000 likes pour contacter un lieu. Une success story moderne rendue possible par Internet. Mattia se souvient: “C’est quand j’ai vu MySpace que j’ai compris qu’on ne pre?cherait peut-e?tre pas dans le de?sert.” Apre?s une centaine de dates, sauvages et e?lectriques, le groupe re?ussit un pari. L’Olympia, en mars 2015, sans aucune actu discographique. “On e?tait a? Berlin, on venait d’entendre les premie?res maquettes du nouvel album et au bout du troisie?me whisky, on s’est dit, en de?connant : ‘Et si on faisait l’Olympia ?’”, se rappelle Alix. Le lendemain, on a appele? notre tourneur avant de s’embarquer dans cette folie. Mais c?a n’a pas e?te? simple. Tous les lundis, on regardait combien de tickets e?taient vendus. La premie?re semaine, seulement cent s’e?taient e?coule?s et l’Olympia pre?disait qu’on allait finir a? 700. C’e?tait une aventure, une mission, on balanc?ait des teasers sur Facebook jusqu’a? faire salle comble. On a rempli la salle de 2 800 places, c’e?tait de?ment, inespe?re?.”

LES TEMPS MODERNES

Trois albums a? leur actif, plus de 14 000 disques vendus (sans major), un Olympia, un buzz. Et pourtant, il y a un malentendu autour d’Odezenne. Beaucoup ne retiennent d’eux que des morceaux comme “Je veux te baiser”, tire? du EP Rien et son clip porno digne de Bret Easton Ellis, qui a fait le tour des re?seaux sociaux. Jacques dissipe le doute: “Ce morceau, c’e?tait une chanson d’amour pour ma meuf avec qui je suis depuis sept ans, pour la baiser une fois de plus. Je lui ai e?crit ce poe?me, qu’elle a beaucoup aime?. Et la? Mattia a de?barque? avec un sample de Twin Peaks et une re?fe?rence a? Mylene Farmer (‘Maman a? tort’).” Derrie?re le co?te? sulfureux du groupe – sexe, drogues, alcool –, il existe une vraie profondeur. Mais l’image du groupe de hip-hop (e?tiquette qu’ils rejettent) provoc sera dissipe?e ce mois-ci par l’e?coute de Dolziger Str.2. Les trois sombres he?ros de l’amer s’y imposent en porte-parole d’un de?sarroi moderne. Le trio creuse un sillon ine?dit me?lant la poe?sie de textes litte?raires influence?s par Ferre?, Gainsbourg, Brel, Nougaro, Tre?net, l’e?lec- tronique entendue en clubs a? Berlin et la musique de films. Cine?phile – on entend des extraits de Gaspar Noe? et de Chris Marker dans ses morceaux pre?ce?dents – et lettre?, le trio peaufine ses armes : des textes froids, incisifs, empreint d’humour noir et de poe?sie urbaine. “Je cultive le pessimisme en haut de ma colline”, chantent-ils, re?sumant les paradoxes de notre e?poque dans des formules justes comme l’oxymore amoureux “tendre levrette”. L’he?donisme triste, le spleen sublime?, la crise de foi, l’oubli dans l’alcool (“Vodka”) et le stoi?cisme (le beau et philosophe “On nai?t on vit on meurt”) sont ainsi ce?le?bre?s sur fond sur de nappes synthe?tiques tanto?t italo-disco, varie?te? franc?aise ou techno. Mais attention, point de cynisme ici. Comme le conclut Jacques: “On nous a dit que la mort est quelque chose de triste, que l’e?tat d’e?brie?te?, c’est un drame familial. Moi je pense que ce n’est pas triste tout c?a. La re?alite? n’est ni rose, ni grise. Elle est, c’est tout. Et c’est notre seul message.

Violaine Schütz

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