Bilan Sziget 2015: un festival multiculturel
Il nous a fallu du temps pour nous en remettre, surtout qu’on est revenu de Budapest avec un bon rhume, la faute à un orage le dimanche soir. Mais ça y est, on a l’esprit suffisamment clair pour vous proposer ce bilan de notre Sziget. Un truc totalement subjectif et largement incomplet car l’événement est si vaste, avec des propositions et des publics si divers, qu’il y a autant de perceptions différentes que de participants.
On a regroupé cela en trois points. D’abord en revenant sur ce qu’on a aimé – et aussi sur ce qu’on a détesté – dans cet événement hors norme. Ensuite, avec András Derdák, responsable France du Sziget, on fait le point sur les rapports privilégiés du public français avec le festival et l’aspect très international de celui-ci, parfois au détriment des locaux. Enfin, parce que l’événement se tient en plein cœur de Budapest, on vous indique quelques bons plans à ne pas rater dans la capitale hongroise.
1. Ce qu’on a aimé/ détesté
C’est la première année que Tsugi couvrait le Sziget – et on l’espère pas la dernière – et ce qui nous a marqué bien sûr en premier lieu sont les dimensions hors normes de l’événement. Jusqu’à 90 000 personnes par jour, une vingtaine de scènes « officielles » dont la Main Stage qui peut accueillir à elle seule les trois quart des festivaliers, des centaines de bars et points de restauration dont certains se transforment, la nuit, en scènes officieuses. Et puis énormément d’animations dépassant le simple cadre musical, du théâtre de rue, du cirque, des spectacles de danse, des installations artistiques, ludiques ou les deux à la fois, des terrains de sports… Le tout pendant une semaine. 7 jours. 7 nuits.
Non Stop. Une ville dans la ville, un Etat dans l’Etat. Hors du temps. Hors de la réalité. Quand on rentre au Sziget, on met de côté son quotidien, sa nationalité, ses peurs, ses projets. On vit l’instant présent. C’est plus qu’un simple festival, ce sont, de l’expression même des organisateurs, des « vacances festives ». Alors évidemment le côté massif, populaire de l’événement fait qu’on y trouve de tout, du bon, du moins bon et du franchement mauvais. Pas au niveau de l’ambiance, elle a été très bon enfant, du début à la fin, pas d’embrouilles, des gens de toute l’Europe, voir du monde entier, qui se parlent, qui trinquent, qui dansent ensemble.
Par contre, là où on a eu du mal c’est avec certaines propositions « artistiques ». Avec l’EDM en particulier. Elle était là, omniprésente, surtout à la nuit tombée. Sur la Main Stage avec des Avicii et des Martin Garrix, devant une foule innombrable se filmant avec des selfie sticks. Dans un immense chapiteau, la Telekom Arena, avec des DJ’s hollandais ne faisant pas dans la finesse. Et puis dans pas mal de bars aussi avec des filles faisant du twerk sur des podiums. Impossible de lui échapper. Par le simple fait de vous rendre d’une scène qualitative à une autre, vous êtes obligé de passer devant. Voilà ce qui nous a un peu gonflé pendant le Sziget, constater le triomphe de cette chose qui parodie une vraie culture, celle que l’on défend depuis tant d’années dans les pages de notre magazine, la culture de la musique électronique. Voilà pour le gros point négatif car pour le reste on a quand même bien kiffé les quatre jours passés sur « L’ile de la Liberté ». Déjà parce qu’il y avait, à côté de toute cette soupe EDM, une vraie scène électro, le Colosseum. On y a vu Dixon, Dettmann, Function, Ellen Allien, Damian Lazarus dans l’un des espaces les mieux scènographiés de tout le festival : une arène de plusieurs mètres de haut construite à partir de palettes en bois. Et on a été assez fier de voir que l’artiste qui a le plus attiré de fêtards ici fut Vitalic, pour un live assez percutant même si nous n’y avons pas vraiment entendu d’inédits.
Une deuxième scène a attiré notre attention, l’A38, en réalité un immense chapiteau pouvant accueillir 12 000 personnes soit deux Zénith. Le rock froid et incisif d’Interpol y a notamment fait des merveilles tout comme Fauve, pour l’une de leurs premières scènes internationales. Le public français était là, en masse, mais pas que, le groupe s’amusant d’ailleurs à faire les comptes de qui était en mesure de comprendre leurs paroles. On a eu de bons moments aussi sur la Main Stage, avec des groupes rock, Kasabian en tête. Bon par contre on ne vous le cachera pas : on a oublié de passer voir Major Lazer. Paraît que Diplo, installé dans une boule transparente, s’est fait porter par la foule. Tant pis pour le spectacle. Mais ce qu’on a peut-être le plus aimé lors du Sziget, c’est la surprise, la bonne surprise, en se baladant sur des scènes secondaires. Bloquer sur un groupe hongrois reprenant les Stones avec conviction. Rester un long moment sur la scène world écouter un groupe venu des Balkans en famille, avec le petit dernier improvisant un numéro de claquettes. Se poser au coin d’un feu au son d’une chanteuse folk. Se perdre dans des mixes dub sur la scène afro-reggae. Il y a de tout au Sziget. Il y a toujours un endroit où trouver de l’inattendu. Et c’est ça qui est bien.
Il y a beaucoup de français dans l’enceinte du festival, tu as une idée précise de leur nombre ?
On a entre 80 000 et 90 000 personnes sur le site chaque jour et les français représentent 10 % des festivaliers donc environ 8000 personnes. Ce chiffre est en fait celui de la francophonie, mais le nombre de belges, suisses voir québécois est tout à fait négligeable par rapport aux français.
Comment expliques-tu que les français soient si attachés à un festival se déroulant à 1500 kilomètres de chez eux ?
Au-delà de l’ambiance, de la taille, de la programmation, des prix attractifs, de la réputation du Sziget à l’international, le festival a une histoire particulière avec le public français. Cela, on le doit à Kristina Rady, l’ex-compagne, aujourd’hui décédée, de Bertrand Cantat. C’est elle qui a assuré la promotion en France pendant des années et qui a fait venir de nombreux artistes français. Ce sont donc les jeunes français qui les premiers ont découvert le Sziget à la fin des années 90. Depuis ils se sont fait doubler par les hollandais qui sont près de 17 000 cette année et par les anglais qui sont environ 9000. La fréquentation ne s’arrête d’ailleurs plus à la seule Europe. Nous accueillons désormais un millier d’australiens, c’est quand même fou !
Cette internationalisation du public du Sziget ne se fait-elle pas au détriment des hongrois ? Les prix d’entrée du festival sont désormais difficilement accessibles pour les locaux…
Les hongrois achètent plutôt des tickets à la journée et non des pass semaine donc les chiffres sont difficilement comparables. Cela dit le nombre de hongrois a augmenté cette année, ils sont entre 10 000 et 15 000 par jour. Mais le Sziget est un festival européen voir international, on n’a pas de problème avec ça. On accueille plus de 89 nationalités différentes ici, on est ravis. Si on pratiquait des prix plus bas, on ne pourrait pas offrir la même qualité de prestation et les gens diraient que le festival n’est plus intéressant. Il faut aussi voir que les prix des artistes ont considérablement augmenté ces dernières années. Aujourd’hui les cachets représentent près de la moitié du budget global de l’événement. En 2015 on a augmenté de deux millions d’euros le budget alloué aux artistes alors que le niveau de la programmation n’a pas énormément évolué. On a même dû passer à la trappe la scène métal. Cela nous coûte de plus en plus cher de conserver un niveau artistique équivalent. Mais, si on ne communique pas trop là-dessus à l’extérieur, on fait quand même des actions pour les hongrois, avec l’aide de sponsors. Si tu es hongrois, étudiant et que tu viens avec un groupe de dix personnes, tu paieras moitié prix.
Revenons aux français. Depuis quelques années il existe un espace qui leur est dédié « L’Apéro Camping » où l’on peut trouver de la restauration française, du pastis, de la pétanque. N’est-ce pas un peu anachronique dans un événement qui a justement comme intérêt la dissolution des identités ? Chacun devenant en quelque sorte un « citoyen du Sziget »…
Cela rassure certaines personnes. Surtout que les français, et les latins en général n’ont pas un super bon niveau en anglais. L’idée était donc de leur proposer avant tout un point d’information en français. Il y avait aussi une demande pour des campings plus calmes, plus sécurisés et avec plus de confort que le camping de base qui consiste à se poser à peu près où l’on veut sur l’Ile. On a donc monté cet espace avec une thématique française et il faut croire que la demande est là car on avait 1500 personnes l’année dernière et 2200 cette année. Mais le camping n’est absolument pas réservé aux français où aux francophones. L’idée est de proposer une « ambiance française » mais elle est ouverte à tous. Des hongrois, des hollandais ont posé leur tente ici. Il y a un camping « italien » sur le même principe où l’on peut y manger de bonnes pizzas. En fait, 2/3 de ses résidents sont des hollandais !
Le fait qu’il y ait autant de français influence t’il la programmation du festival ? Evidemment. C’est d’ailleurs une partie de mon job à l’année. Même si c’est la direction hongroise qui booke tous les groupes je fais des propositions, qui sont retenues ou non. Je vis en France donc je vois mieux ce qu’il se passe, je me tiens au courant de ce qui marche. On peut ainsi proposer en avance des artistes très forts localement qui vont exploser ensuite à l’international. L’un des meilleurs exemples est Stromae. L’an dernier il a joué dans un chapiteau de 12 000 personnes. Il y en avait presque autant qui attendaient à l’extérieur, faute de place.
3/ Les bons plans de Budapest
Que vous veniez pendant ou en dehors du festival, la ville de Budapest fourmille de bons plans, qu’ils soient artistiques, festifs ou purement touristiques. Voici quelques incontournables :
Les Bains A Budapest, les bains/thermes sont une véritable institution, des lieux de sociabilité comme le sont les cafés chez nous. Idéal pour se détendre après une journée de marche en ville ou une nuit à faire la fête au Sziget.
Les Ruin Pubs Contrairement aux Bains il ne s’agit pas d’une vieille tradition à Budapest, les Ruin Pubs étant apparus après la chute du mur voir même durant les années 2000. Il s’agit de bars ouverts dans des immeubles abandonnés où se réunit la jeunesse étudiante locale. On y apprécie aussi la déco, souvent faite de matériaux de récupérations et les tarifs raisonnables des consommations.
L’A38 C’est un peu le Batofar local. Bar et salle de concert installés sur une ancienne péniche ukrainienne, la programmation y est plutôt indie et électro, donc on valide. Le lieu a été élu « meilleur bar du monde » en 2012 par le Lonely Planet et a donné son nom à l’un des scènes les plus excitantes du Sziget.
Le Danube et ses ponts Parce que le Danube est un fleuve majestueux, qu’on trouve sur ses rives certains des plus beaux bâtiments de Budapest comme le Parlement, que les ponts qui le traversent ont sacrément de la gueule, on ne saura trop vous conseiller une petite ballade, la nuit de préférence pour profiter des éclairages.