Berlin Atonal 2018 : le festival reste encore et toujours la référence absolue de la scène techno-expérimentale !
Chaque année à la fin du mois d’août, le géant de béton Kraftwerk se réveille aux sons et lumières du Berlin Atonal. Après une sixième édition où se sont succédés talents et découvertes allant de la techno aux performances inclassables, ce festival décidément très spécial nous laisse un goût de « reviens-y ».
Atonal : de mercredi à dimanche en plein cœur de Berlin. Cinq jours, c’est éprouvant. Croyez-le, il y a des courageux qui les enchaînent, on les a vus, on leur a parlé, ils existent. En même temps, comment ne pas résister à une offre aussi étoffée que qualitative ? Un vaste choix entre des lives, des performances audio-visuelles, des DJ-sets, des installations, parmi le gratin de tout ce qui se fait (ou se fera) dans la techno léchée, dans la musique électronique « avant-garde ». Répartissez tout cela sur une plage horaire allant grosso modo de 18h à 7h entre deux scènes immenses de l’ancienne centrale thermique Kraftwerk et deux clubs satellites (le Ohm et le Trésor/Globus), le tout dans une atmosphère de semi-obscurité. Oui, ça fait beaucoup. Autant dire que le festival se prépare et se planifie comme une véritable expédition, terra incognita ou pas.
Arrivés après les deux premiers jours, on sait qu’on a sûrement déjà manqué une bonne partie des concerts-phares du festival, à savoir par exemple Bruta Non Calculant, Beatrice Dillon, Lucrecia Dalt, Neon Chambers avec Kangding Ray et Sigha, Lanark Artefax…le don d’ubiquité sera pour une autre vie peut-être. On a donc atterri rongé d’impatience vendredi soir, pour plonger en plein dans la noirceur et les aspérités du Kraftwerk. Accueillis par d’improbables bambous géants (installation « Etiolation » de Mary Lennox), on se dirige en haut du grand escalier qui mène à la main stage, où on sera scotché jusqu’à minuit par le live « Here from where we are » de Pariah, puis par « Pure Expenditure », live réussi de la musicienne Hiro Kone qui vient de sortir un album avec Drew McDowall cette année sur BANK Records NYC. A minuit, on se fait déjà achever par British Murder Boys (Surgeon et Regis), duo anglais qui porte manifestement très bien son nom. La foule ne s’échappe pas, se fait malmener avec plaisir, les ondes mécaniques des basses sont violentes et pourtant si addictives. Un peu plus tard sur la stage null spécialement estampillée Downwards 25 years (le label de Regis et Female), on écoute avec attention la performance d’Ora Iso qui s’en fout de chanter faux, couverte par la disto du guitariste, puis les bourrinades pas très exaltantes de Giant Swan, et rebelote de Regis en solo. Entre temps, on a aussi été se promener au Ohm, le club concomitant qui accueille des lives et DJ-sets en petit comité autour de son fameux bar circulaire. A noter ce soir-là le live de Sophia Loizou, musique breakée avec machine Elektron Octatrack de choc et l’association Felix K et ENA toute en finesse, très lent et organique, et en décalage évident avec le massacre d’un peu plus haut. Sans oublier qu’au Trésor (qui fait aussi partie de l’Atonal), on a adoré les sets des talentueuses Courtesy et Helena Hauff.
Le lendemain matin, on déplore de légers acouphènes. Réflexion faite aussi, on se rappelle que les écrans gigantesques sont restés muets, et qu’on est quand même un peu déçus de ne pas avoir vu de productions audio-visuelles le soir précédent, comme si finalement l’esprit de ce vendredi était purement orienté « clubbing ». On se rattrape dès les premiers concerts de ce samedi avec Kolorit (Kassem Mosse et Lowtec), toujours un peu statiques et un étonnant show de l’ex-top model Leslie Winer liée à l’histoire ontologique du trip-hop, ce soir-là avec Maeve Rose et qui conclut par une reprise de Portishead. On attendait beaucoup du live d’Actress, qui somme toute était un des plus attirants au niveau de la scénographie, avec ce mannequin chromé qui captait tous les projecteurs ainsi que l’attention du public sur fond de vidéo bouillonnante, mais assez hésitant niveau sonore, comme des fragments (volontairement ?) pas développés. On se demande si ça ne ferait pas meilleur effet dans un musée. Autre show qui nous fait beaucoup rire : celui d’Aasthma (Peder Mannerfelt et Pär Grindvik), avec des « figurants-danseurs » éparpillés et gesticulant sur scène, tous vêtus de k-way jaunes. De quoi décoincer un peu toute une foule de corbeaux, car oui la tenue lambda du participant à l’Atonal est toujours noire noire noire. Sur la scène null, Veronica Vasicka a toujours une super playlist, mais c’est au Ohm qu’on a globalement passé le plus de temps, pour le set de Djrum dont on adorait déjà les productions, et particulièrement le dernier album Portrait With Firewood sur R&S Records. Platiniste incroyable, il nous a fait danser sur de la UK bass noble ponctuée de scratch (Eminem-Slim Shady a fait notre nuit). C’est au Ohm encore qu’on a écouté le live plutôt house de Patricia et les envolées dancehall de Simo Cell b2b Low Jack. A cette heure-là, 6h, nos actions sont désormais dictées par notre ventre vide, et notre seul allié est le döner un peu plus loin dans la rue. Voilà qui signe la fin de notre deuxième jour.
Dimanche, la messe est dite. Les salles gigantesques résonnent d’autant plus que le plus gros des festivaliers, environ 15 000 sur tout le festival, est désormais parti. Dommage, car c’est sûrement le soir le plus intéressant au niveau du contenu et des découvertes – et pour cela on remercie encore les organisateurs et directeurs artistiques du festival Harry Glass, Laurens von Oswald et Paulo Reachi qui font un travail remarquable. A savoir « Bridge », live audio-visuel à partir de l’album du Japonais ENA du même nom. Mais aussi la très attendue Caterina Barbieri, ses synthés modulaires et sa petite robe blanche sur des visuels d’éoliennes et de soleil couchant de Ruben Spini. Très émouvant. La plupart des spectateurs ne tient plus debout. Les larges rectangles de béton en périphérie de la main stage sont devenus des refuges, des îlots sur lesquels on se masse pour écouter les derniers lives. La tension monte alors que le duo The Transcendence Orchestra entre en scène, capuches blanches types mages noirs vissées sur la tête, basses drones grondantes et encens qui brûle lentement. Sans conteste, le véritable clou de ce dimanche était l’apparition de Group A avec les visuels hypnotisants et légèrement angoissants de Dead Slow Ahead. Les deux Tokyoïtes, surélevées, l’une aux synthés et l’autre aux violons/machines dansaient presque, comme pour une performance diaboliquement percutante. Retournés, nous le sommes tous, mais c’est LABOUR et le projet collaboratif « next time die consciously » qui nous met la claque finale, avec une intro au didgeridoo (semble-t-il), des solos de batterie et percussions inimaginables, spatialisées. Une première imaginée spécialement pour Atonal et qui nous confirme la capacité du festival à faire plus qu’inviter des artistes-clés, mais bel et bien de rester force de proposition dans un paysage musical en ébullition, et ouvrir les possibles. Même si pour cette édition 2018, la scénographie et les travaux des lumières semblaient moins impressionnants que l’année précédente. Il reste malheureusement peu d’énergie pour la formidable Machine Woman, en live au Ohm, qui était pourtant sidérante du peu qu’on l’a vue (on repense d’ailleurs en cette occasion à son titre bien nommé « Camile From OHM Makes Me Feel Loved ») ou pour Skee Mask et Objekt, qu’on adore d’habitude, et qui clôturent le festival en DJ-set. Demain, on rallume la lumière.
Meilleur moment : Oublier qu’on est resté quatre heures assis sur du béton froid le dimanche, les performances audio-visuelles d’abord !
Pire moment : Faire la queue trente minutes au Ohm pour aller voir Djrum et entendre dire que le club est plein et ne fait plus rentrer personne (faire le tour et rentrer sans problème par l’autre entrée).