Kwalud et Ago : « Il y a peut-être 10-15 producteurs sur toute la Réunion »
Originaires de métropole, les DJs Kwalud et Ago vivent tous deux à la Réunion. En marge de son projet solo, Kwalud fait partie du duo Sauvage, programmé vendredi dernier aux Electropicales. Ago, quant à lui, a enchanté notre samedi soir avec un set dubstep, à l’ancienne et sans concession. Rencontrés juste avant le set de Sauvage, ils évoquent, tongs aux pieds et sourire jusqu’aux oreilles, leurs projets, leurs envies et, bien sûr, leur île.
Tsugi : Kwalud, on t’a croisé quelques fois en métropole, notamment pendant ta tournée avec Labelle. Pourquoi t’être installé à la Réunion ?
Kwalud : Elle était blonde ! (rires) C’était en 2006, je ne pensais pas rester aussi longtemps : ma rencontre avec cette île était plutôt imprévue, d’autant que, comme beaucoup de Parisiens, j’imaginais Paris comme le centre du monde. Maintenant, c’est Saint-Leu ! (rires)
Les free-parties étaient-elles encore majoritaires quand tu es arrivé ici ?
Kwalud : Plus autant. J’ai l’impression qu’il y a eu trois périodes dans l’électro réunionnaise : les free, l’arrivée de la house, puis la nôtre, celle des producteurs. On n’est pas très nombreux, peut-être 10 ou 15 « reconnus ». On se connaît tous, on s’entend bien mais on fait tous des choses très différentes.
Ago : Oui, et le panel est de plus en plus varié. Cela dit, contrairement à Kwalud qui produit depuis 4 ans, c’est tout nouveau pour moi.
Kwalud : C’est le climat, tout pousse vite ici (rires).
Ago : Il n’y a qu’à voir les Electropicales. Cela fait six ans que le festival existe, et il n’a pas cessé de grossir, surtout depuis l’année dernière et la venue de Jeff Mills, que j’adore. Il y avait Ame également, qui proposent, je trouve, ce qui se fait de plus subtil en ce moment. Une programmation comme ça ouvre beaucoup de portes aux producteurs locaux.
Kwalud : Oui, c’est notamment grâce à ça que j’ai fait la tournée avec Labelle.
Tu peux nous parler de ton projet Sauvage ?
Kwalud : Ben est arrivé sur l’île il y a trois ans avec ses vinyles d’Afrique de l’Ouest, des Antilles, d’Haïti des années 70-80. Au début, on a fait une forme totalement improbable où je faisais un live électro et lui mixait des vinyles africains, c’était n’importe quoi. Au fur et à mesure on a resserré, mais on est toujours amoureux de cette vibration africaine. Comme on est en vinyles et en digital, l’idée est de passer de vieux sons roots et en même temps des musiques ghettos. Sauvage, c’est mon côté joyeux et décomplexé par rapport à Kwalud, mon projet perso qui est plus noir.
Tu n’aimes pas trop qu’on qualifie ton projet d’ « electro-maloya »…
Kwalud : Au début de ma longue carrière, c’est-à-dire il y a quatre ans (rires), j’ai fait, sur un malentendu, un remix de « Kafrine », un morceau de Tikok Vellaye très connu à la Réunion. Sauf que je n’étais pas parti dans cette revendication de l’électro-maloya que peut avoir Labelle (d’où notre débat sans fin…). Je l’ai fait sur le moment, pour « défouler » comme on dit ici, et comme je venais de débarquer on m’a collé cette étiquette. Alors forcément, il y a des éléments de la Réunion qui viennent se greffer à ma musique. Je fais des références au maloya et au sega en live, parce que faire du son dans ce décor-là est bien différent de la production dans une chambre de bonne pourrie à Paris. Aussi, j’ai participé à un projet théâtral avec un conteur réunionnais et le metteur en scène David Gauchard. On a fait un premier spectacle, « Kok Batay », qui tournait autour de la Réunion. J’y inclus de la musique traditionnelle, mais la Réunion c’est encore plus multiple que ça.
Tu faisais de l’électro avant de venir à la Réunion ?
Kwalud : Pas du tout ! J’ai été guitariste pendant 15 ans dans des groupes miteux, à jouer dans des bars pourris du 18ème arrondissement. Ca faisait longtemps que j’avais cette envie de musique électronique. Dans ma première vie, j’étais travailleur social spécialisé en toxicomanie dans tout le milieu des free-parties, j’ai fréquenté les cercles techno parisiens.
Ben, l’acolyte de Kwalud dans Sauvage, nous rejoint entre deux balances.
Quels sont les projets de Sauvage ?
Ben : Ça fait deux ou trois ans que Sauvage existe, mais ça a toujours été le projet dans lequel on s’amuse. On ne se prend pas trop au sérieux et ça marche comme ça.
Kwalud : Dès le départ, il n’y avait pas d’enjeux, on fait vraiment ça pour faire la fête sur de la musique qu’on aime. Ça doit se ressentir.
Ben : On ne prépare jamais nos sets…
Kwalud : Dis pas ça malheureux, on joue dans 10 minutes !
Ben : C’est pour ça que j’ai trois bacs de vinyles derrière, on réagit toujours par rapport à ce que l’autre fait avant.
L’année dernière, Jeff Mills a déclaré que la Réunion pouvait devenir un nouvel Ibiza. Ca fait flipper ou c’est une bonne chose ?
Kwalud : Ibiza, carrément ! Il s’est lâché le Jeff, on n’en est pas là.
Ago : Je pense qu’on voudrait tous une évolution dans l’électro, qu’il y ait plus de personnes qui viennent et plus de rotation. Mais rien que le prix des billets d’avion sera un frein. Forcément, on aimerait tous pouvoir faire des journées de musique au bord de la plage, avec 10 ambiances différentes sur un kilomètre… J’en rêve.
Ben : Ça devrait être l’étape d’après pour les Electropicales. Le festival est génial, il grossit, mais il y a tellement d’endroits magnifiques ici… Jouer dans un stade (les Electropicales ont lieu au stade de rugby de Champ Fleuri, à Saint-Denis), c’est presque dommage.
Kwalud : Si Jeff Mills avait fait son set sur la plaine des Sables, il serait resté pour habiter ici ! (rires) Le souci, c’est qu’on n’a beaucoup de lieux de diffusion. Les clubs jouent plutôt des trucs commerciaux, du dancehall… Mais ça avance.
Qui est-ce que vous ne voulez absolument pas rater aux Electropicales ?
Ago : Bambounou ! De ce que j’ai vu, par exemple avec sa Boiler Room, il mélange différent styles, ce que j’essaye de faire également. Ça va de la deep jusqu’au dubstep. Je suis assez curieux de voir comment ça va rendre, comment ça peut fédérer autant de gens.
Kwalud : Ils ont le nez fin aux Electropicales, la prog’ a évolué doucement d’année en année. Parachuter Bambounou la première année ça aurait été une catastrophe, les gens n’étaient pas prêts. Pour moi, Bambounou c’est Youtube, la Boiler Room, des choses très loin d’ici (oui, on a Internet quand même (rires)), c’est une bonne chose d’avoir attendu un peu avant de le programmer.
Ago, c’est assez difficile de trouver des informations sur toi sur le Net…
Ago : Oui, je ne suis pas forcément très à l’aise avec tout ce qui est promotion… Jusque là, j’étais tout seul avec un boulot à côté, mais j’ai trouvé quelqu’un qui va m’aider à m’en occuper un petit peu, à faire les choses de manière plus professionnelle.
Du coup, on ne sait pas grand-chose sur ta vie…
Ago : Je suis arrivé à la Réunion il y a 21 ans. J’ai toujours aimé la musique, mais sans plus. Et puis un jour, il y a eu Portishead, avec les vinyles et le scratch. La claque. Avec mon premier salaire, j’ai acheté une platine vinyle. Sans savoir vraiment jouer, j’ai intégré le groupe Le Pire et tourné pendant 5-6 ans avec eux sur la Réunion. L’idée était d’amener des samples, des scratchs et des liaisons entre les morceaux pour accompagner leur musique, ce qui ne se faisait pas trop ici à l’époque. A la fin des concerts, j’ai commencé à mettre des disques, ça a plu, si bien qu’on a fini par faire des soirées en deux parties : d’abord le concert puis du mix. Le groupe s’est tourné vers le funk, et je me suis lancé dans l’électro. Aujourd’hui, je suis DJ depuis une dizaine d’années, et depuis un an je fais du live minimale techno sous le nom de The Basstenders avec le producteur Haze. Sinon, je continue à jouer en free-party, qui sont vraiment en train de perdre leur côté un peu glauque pour envoyer du bon son !
Et tes projets ?
Ago : Essayer de diffuser le plus possible mes productions, notamment les morceaux qu’on a préparé avec FlowDi (membre de Do Moon et de Dubstep Run auprès d’Ago)… Et peut-être arrêter d’être prof pour devenir musicien à plein temps !