Etienne de Crécy à la Philharmonie : « ce n’est pas le genre de proposition à laquelle tu peux dire non ! »
Aujourd’hui démarre l’Expo Electro à la prestigieuse Philharmonie de Paris. Pour en célébrer l’ouverture, Etienne de Crécy s’est vu convié pour un concert unique ce samedi 13 avril. A cette occasion, l’évènement sera retransmis en direct sur les pages Facebook de Tsugi et d’Arte Concert. Ce n’est pas tous les jours qu’un DJ et producteur, héros en son temps de la French Touch et aujourd’hui parrain des soirées où on danse avec la banane, loin des autoroutes techno 4/4, s’invite dans une institution pareille. Du coup, on a discuté avec Etienne de Crécy, de ce concert… dans les canapés moelleux de nos nouveaux bureaux de SoPress.
Il y a un an on apprenait que tu allais donner un concert à la Philharmonie de Paris !
C’est bien tombé cette Philharmonie : il fallait que je redémarre les lives. J’avais arrêté depuis la fin de Superdiscount. Tant qu’il n’y avait pas de nécessité, j’avais tendance à reculer l’échéance, en me disant qu’on verrait plus tard. J’adore ça, préparer les lives puis jouer, mais c’est vrai que c’est du travail. Quand il y a eu cette demande, je me suis dit que c’était une bonne occasion, d’autant que l’endroit est très prestigieux et beau. Le challenge est intéressant.
D’où est venue cette proposition ?
Tout part de l’exposition sur la musique électronique, dont le journaliste Jean-Yves Leloup (collaborateur de Tsugi, ndr) est le commissaire. Ils cherchaient un concert inaugural. Il se trouve que, dans la shortlist, j’étais là – je crois qu’il y avait aussi Kraftwerk. Et ils m’ont choisi !
On dit forcément « oui » à une demande comme ça ? Ou tu as eu des doutes ?
On dit forcément oui, mais c’est vrai que je me suis tout de même posé la question. J’aime faire partie de ce qui n’est pas institutionnel. Pour moi, la musique électronique et la techno sont plutôt des mouvements en marge. Les médailles de Chevaliers des Arts et des Lettres, les Légions d’honneur… Ce n’est pas quelque chose vers quoi je me dirige naturellement. Ce n’est pour moi pas du tout adapté à la musique qu’on fait. Alors bien sûr je ne veux citer ni juger personne, je sais que certains souhaitent sincèrement que les musiques électroniques soient reconnues par les institutions comme de vrais éléments de notre culture française… Mais ça, pour être honnête, je m’en fous complètement. Mon ambition, c’est de faire danser les gens le samedi soir dans des clubs ou des festivals. Donc forcément, je me suis posé la question sur cette Philharmonie. Mais en discutant avec les gens autour de moi, je me suis rendu compte de l’impact que pouvait avoir une date comme ça. Par contre, je tiens à préciser quelque chose : ce n’est pas parce que je joue à la Philharmonie qu’il y aura un orchestre sur scène.
Et pourquoi pas ?
C’est un mélange des genres que je n’ai jamais vraiment apprécié. La musique classique mélangée à la techno, ça ne m’intéresse pas, même si c’est la grande mode en ce moment. Il faut savoir qu’il n’y a pas que la techno qui a tenté ça : il y a eu pas mal d’exemples dans le hardrock aussi, avec des orchestres symphoniques qui reprennent ou accompagnent AC/DC… J’ai toujours trouvé ça un peu ringard. En tout cas, côté techno, ça ne m’a jamais touché : l’émotion que je ressens avec la musique électronique existe car, justement, elle est électronique et synthétique.
Tu prévois tout de même des invités ?
Pas sûr ! Pour le moment, j’ai envie de faire au contraire quelque chose de très électronique, avec beaucoup de synthétiseurs. Pareil pour la scénographie.
Tu penses à un Cube 3.0 ?
Non, le Cube a vraiment vécu sa vie, qui était belle, mais je ne pense pas le ressortir. En plus, par rapport à ce qui a été fait depuis, il serait un petit peu ringard aujourd’hui. L’intérêt c’est d’avancer et de proposer de nouvelles choses. Donc pas de Cube, pas d’orchestre !
Bon, on ne sait pas trop ce qu’il y aura à ce concert, mais on sait ce qu’il n’y aura pas !
Oui ! En revanche je fais pas mal de recherches au niveau de la scénographie, je suis toujours intéressé par ce qui fait un peu mal aux yeux. Les trucs où tu ne sais pas exactement ce qu’il se passe.
La Philharmonie de Paris, c’est une salle que tu connais ? Tu es déjà allé voir des concerts là-bas ?
Oui, en fait je connais bien les gens qui ont été responsables du chantier pour Jean Nouvel. J’ai eu la chance de faire une visite de l’endroit quand il était encore en construction. J’ai pu avoir des compte-rendus de l’avancée des travaux par des copains, c’était passionnant ! Et depuis, je suis allé voir des concerts, comme John Cale du Velvet Underground, dans la salle une fois terminée. Elle est très belle et impressionnante. C’est difficile d’imaginer un show là-bas, rien que la salle est déjà un spectacle : il ne faut pas aller contre.
Tes scénographies sont généralement très géométriques et lumineuses, or cette salle est toute en courbes et lumières feutrées. C’est quelque chose auquel tu penses ?
Oui bien sûr ! Surtout qu’il faut que je trouve quelque chose d’adapté à cet endroit, puis que cette scénographie puisse être déclinée en tournée, adaptable. Je rencontre plein de gens, j’ai des idées et des visions, j’en parle à des techniciens et autres spécialistes. La musique n’est pas encore très avancée, je me concentre sur l’aspect visuel pour le moment. Pour le Cube, j’avais fait l’inverse : j’ai d’abord travaillé la musique, et on a collé une scénographie dessus. Sauf qu’en cours de tournée je rajoutais des éléments musicaux pour que ça colle aux lumières ! Au final, je trouve ça mieux d’avoir une idée un peu précise de ce qu’il va y avoir sur scène, et en fonction je travaille sur la musique qui irait le mieux avec cet environnement.
Stressé ?
Oui déjà ! Je suis quelque qui stress très facilement. Je sais que j’ai une certaine notoriété par rapport à mes lives, et que les gens attendant de voir un bon concert. J’ai envie de les impressionner.
Tu n’as cela dit pas du tout été inactif depuis la fin de Superdiscount. Une de tes dernières actualités est d’avoir fait un DJ-set devant les caméras de Cercle. C’était comment ?
C’était génial ! Cercle, c’est une super équipe, tout est toujours très bien organisé. Le dernier stream que j’avais fait avec eux a cumulé 500 000 vues. Donc je savais que je jouais pour un paquet de gens derrière leurs écrans. C’est un peu stressant, mais c’est un format intéressant : la majorité des gens qui vont m’écouter seront chez eux, ou en train de bosser, en tout cas en train de faire autre chose. Mais je dois aussi faire une prestation devant un public. Sauf que je ne peux pas jouer la même chose que dans un set classique !
Comment ça ?
Les trois quarts du temps, je joue beaucoup des morceaux à moi qui ont bien marché. Pour Cercle, je ne peux pas vraiment passer mes tubes, parce qu’il faut quand même proposer de la nouveauté. Dans un club ou un festival, on s’en fout, je les joue, tout le monde s’éclate, le moment est éphémère. Quand tu écoutes plusieurs fois le mix, ça ne sert à rien, les gens connaissent déjà ces titres. Là pour ce set Cercle, j’ai carrément choisi de ne jouer que mes propres productions. Au départ, je fouillais dans mes morceaux un peu plus rares, que les DJs ne jouent pas trop. Et je me suis rendu compte que j’avais plein de titres qui n’étaient jamais sortis, que je ne croyais pas terrible au départ et qui finalement avaient peut-être quelque chose. Je les ai édités, et le set Cercle s’est retrouvé composé de 40% d’inédits. Je ne savais pas vraiment comment ils allaient marcher sur le public qui avait fait le déplacement. Mais tout s’est plutôt bien passé.
Tu as également passé les deux titres de ta toute dernière sortie, After EP4, dévoilée en juin dernier… C’est la dernière de la série ?
Alors officiellement oui, mais ce n’est pas du tout impossible que je continue : j’aime bien le titre, j’aime bien la pochette car je peux y mettre toutes les couleurs que je veux… Pourquoi pas faire une saison 2 !
Tu as donc sorti quatre maxi deux-titres, réunis à la fin sous la forme d’un coffret… Pourquoi ne pas avoir directement fait un album ?
C’est vrai… Mais après la tournée Superdiscount, je voulais refaire des morceaux clubs. Certains titres de Superdiscount peuvent être joués en club bien sûr, mais il y avait quand même des formats « chanson » dans cet album. J’avais besoin de me reconnecter avec les clubs. Ces titres-là réunis sur un disque, ça n’avait pas trop de sens, je trouve. Un album aujourd’hui, avec le streaming, il faut qu’il ait un sens en tant qu’album, à l’inverse d’un ensemble de tracks balancés les uns après les autres. En plus, au moment où j’ai démarré la série, je n’avais pas encore les huit morceaux !
Il avait été question que tu fasses une tournée des afters pour fêter cette série, et ça ne s’est jamais fait…
C’était trop compliqué. Je voulais effectivement faire une tournée de dates commençant à 8 heures du matin et se terminant à midi. Le problème est tout con : les salles dans lesquelles je peux aller, vu le nombre de gens qui se rendent à mes concerts, sont plutôt grandes. Or c’est compliqué pour ces salles-là d’avoir leur personnel présent sur des horaires du matin, vu qu’ils bossent déjà le samedi soir. Si une ou deux salles pouvaient, il n’y en avait pas assez pour faire une tournée. Ou alors, il fallait que je joue dans des vrais lieux d’after, mais ça m’intéressait moins, je voulais sortir des salles habituelles d’after. J’étais hyper déçu que ça ne se soit pas monté, surtout pour des raisons logistiques !
Pourquoi être revenu aux morceaux clubs avec cette série ?
Superdiscount, c’était un album, qui passait en radio, il fallait faire des clips, de la promo, etc. C’est un travail très intéressant en soi, mais j’avais envie de revenir à l’instantanéité de la musique de club, où tout va beaucoup plus vite. Et puis aussi, en tant que DJ, je suis inspiré par différents styles issus du clubbing. En ce moment, ou du moins au moment de la sortie du premier After EP, c’était la house progressive… Ce qui peut paraître un peu bizarre venant de moi ! (rires) Mais c’est ce que je mets dans mes mixes de saison. Les trucs très house et funky sont devenus nuls, comme la g-house que je trouvais super inspirante quand j’ai fait Superdiscount 3, car c’était frais… Des mecs ont trouvé les recettes, se sont copiés entre eux indéfiniment, ça m’intéressait un peu moins. Et j’ai fini par tomber sur ces morceaux de house progressive, un peu émo dans l’âme, ce qui techniquement devrait me déplaire… Or j’ai trouvé ça hyper bien ! Les morceaux d’After, progressifs et avec beaucoup d’accords, sont pour moi dans cette veine-là.
La dernière fois que nous t’avons eu en interview, c’était dans le cadre d’une couv’ partagée avec Mia Hansen-Love, la réalisatrice du film Eden. Tu as senti qu’à la suite de ce film un nouveau public s’intéressait à ta musique ?
Non, pas vraiment. En plus du film, il y a eu à cette période pas mal de documentaires à propos de la French Touch, c’était presque une date anniversaire. Mais je ne pense pas que certains soient venus pour la première fois à mes sets suite à ce nouvel engouement pour la période, tout simplement parce que j’ai beau avoir été un acteur important de cette scène-là à l’époque (Etienne de Crécy formait notamment avec Philippe Zdar le duo Motorbass, ndr), ce que je fais aujourd’hui n’a rien à voir. Je ne joue pas de morceaux des années 90 dans mes mixes, mon son s’en est considérablement éloigné. J’essaye de ne jamais être dans la nostalgie, ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse : je ne suis pas un « DJ de la French Touch ». Je préfère la musique électronique d’aujourd’hui !
Comme la house progressive emo ?
Oui un peu (rires). Mais cela dit, ce genre de house m’intéresse déjà moins, il y a eu une espèce d’engouement, les recettes sont connues, ça s’essouffle. Aujourd’hui, les turbines reviennent à la mode, on revoit des soirées transe… Je pensais que c’était fini ça ! Je ne pourrais pas aller jusque là, jusqu’au gabber, mais je trouve ça super que ça revienne, comme les turbines, ou même l’électro. J’ai eu une petite période où je ne trouvais rien qui me plaisait dans les nouvelles sorties, du coup je suis allé repêcher des morceaux électro de 2003-2004, dont les gens ne se souviennent pas, et ça marche hyper bien ! Alors la techno minimale, dite « d’autoroute », cartonne toujours encore : tu peux avoir un DJ qui jouera la même chose pendant 6 heures, ça sera la tête d’affiche. Mais les gens sont de plus en plus contents d’entendre des trucs un peu funs de temps en temps !
Etienne de Crécy sera (entre autres) en concert à la Philharmonie de Paris ce samedi 13 avril. Plus d’infos ici.