Santiago Salazar : « La scène de Détroit ressemble vraiment à une famille »
Santiago Salazar is no joke. Ancien membre de Underground Resistance, membre de Los Hermanos et aujourd’hui boss de Ican Productions, le producteur d’origine mexicaine n’a plus rien à prouver avec ses 20 ans de carrière. Son métier, la scène électronique, ses tournées… A l’occasion de son passage à Paris début janvier, entretien avec un homme simple qui fait partie de l’histoire de la techno.
Tsugi : Tu as passé une bonne soirée au Batofar ?
Santiago Salazar : C’était génial ! Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais à chaque fois que je levais la tête les gens souriaient, dansaient. En fait avant de jouer j’étais totalement stressé, je ne pouvais rien avaler. Je pense que c’est une bonne chose, sinon je devrais arrêter d’être DJ. C’est comme une compétition : Scott (Scott Ferguson qui jouait avant lui, ndlr) joue bien, merde, ça me fout le trac. Ça me stimule. Même si le plus difficile quand tu es DJ, c’est d’ouvrir la soirée car tu dois faire danser les premières personnes qui vont directement au bar. C’est un défi que j’aime me lancer, bien que beaucoup de DJs ne soient pas capables de faire ça.
C’est la troisième fois que je viens à Paris et pourtant c’est la première fois que je visite l’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel… Une de mes classes m’a demandé de prendre des photos de ce personnage, Flat Stanley. En fait, je suis concierge dans une école. J’aimerais vraiment quitter mon job –d’ailleurs pour m’être absenté et être venu jouer ici je risque d’avoir des ennuis à mon retour (rires). Je suis obligé de refuser de super opportunités tout simplement parce que je ne peux pas prendre de jours de congés, ce qui m’attriste énormément.
Ça fait 20 ans que tu fais de la musique électronique. As-tu observé de grands changements dans la façon dont les gens consomment et produisent la musique ?
Je dirais que dans les années 90, les DJs avaient plus de facilités à mélanger vocal house et techno. Aujourd’hui, c’est plus cloisonné. J’aimerais bien que plus de DJs soient plus aptes à mélanger les deux genres, ils ratent pas mal de possibilités en termes de mix en ne le faisant pas.
Autrement, je pense que rien n’a vraiment changé : le public, les danseurs, les promoteurs sont les mêmes… La seule chose qui a changé, c’est la drogue. Les gens consomment autre chose dans les clubs maintenant: avant c’était principalement de la ketamine et de l’ectasy, aujourd’hui c’est du speed, ou des choses dont je n’ai jamais entendu parler.
La dernière fois, pendant un set techno à LA, j’ai décidé de jouer un peu de deep house. Ma femme a entendu des gens dans le public se dire “Oh non il se met à jouer de la house mec, c’est le moment de partir”. Je me suis dit “Sérieusement ? Tu ne peux pas tolérer une seule track deep house ? Je vais bien la mixer tu sais, c’est pas comme si je jouais un morceau de country”. Voilà un truc que je n’aime pas entendre, chacun ses goûts et je comprends que chacun ait envie d’écouter son truc mais franchement, il faut être un peu ouvert d’esprit.
Tu vis à Los Angeles. J’ai été surprise d’apprendre que les clubs fermaient à 2h du matin là-bas. A quoi ressemble le milieu de la nuit en Californie ?
C’est ça qui craint à LA, c’est comme ça depuis un moment. Des gens essaient de faire passer une loi pour que les bars restent ouverts jusqu’à 4h, mais je ne pense pas qu’il y ait un quelconque progrès. La plupart du temps les gens sortent à LA pour être vus. Un jour un type m’a demandé si j’allais passer du reggae, alors que je jouais un set techno… Ça arrive tellement souvent. C’est pour ça que j’ai fait un morceau intitulé « Your club went Hollywood”. Il y a tellement de clubs qui organisent de bonnes soirées, mais qui ont une politique inutile à mes yeux: ils te font attendre 2h alors qu’il n’y a personne à l’intérieur, juste pour faire genre “Hey, c’est ici que ça se passe”. L’entrée et les consos sont tellement chères, franchement. Un jour je suis rentré bourré et j’ai fait ce morceau. Donc oui, Hollywood c’est de la merde ! (rires)
Toutefois il existe bien des warehouse parties. Animal Club, Droid Behaviour ou Sublevel organisent des événements illégaux, des afters de dernière minute dans des squats. Ils servent de l’alcool, te disent de ne pas faire de bruit dans la rue afin de ne pas déranger les voisins. Chaque week-end tu peux trouver au moins 3 soirées techno ou house underground. Ça peut varier de très petits espaces comme cette terrasse (15m2, ndlr) à de grands squats vides ou même des églises.
Mais tu es né en Californie non ? Comment as-tu décidé de déménager à Detroit ?
Oui, ce qui est assez ironique c’est que je suis né à Hollywood. En 2001, j’ai bougé à Detroit afin de travailler à Underground Resistance, pendant 4 ans. Avec ma femme on en avait marre de nos jobs : on a fait nos valises et on est partis, comme ça. C’est une des meilleurs expériences que j’ai faites dans ma vie. Si je ne l’avais pas fait, je ne serais pas ici. La scène de Detroit est minuscule, mais ça ressemble vraiment à une famille. C’est génial de voir tout le monde s’entraider, et je ne parle pas que des artistes, mais aussi des fêtards. Tu peux aller dans un club techno un jour, et le lendemain recroiser les mêmes personnes à une soirée house, hip hop ou soul.
Les jeunes artistes peuvent y trouver beaucoup de soutien. Mike Banks encourage les jeunes à se surpasser pour produire de la musique de qualité, une musique que personne n’a jamais entendue. C’est un truc qu’il a fait pour moi. Quand je suis arrivé, je lui ai fait écouter mes productions et il m’a dit “mec, ça le fait pas, je ne pense pas que tu sois fait pour être producteur”. Ca m’a brisé le cœur ! Mike était mon mentor. Ça m’a donné envie de lui prouver qu’il devait m’écouter. Mike te prend vraiment aux tripes pour te pousser à produire de la bonne musique. C’est mon producteur techno préféré -après lui il y a Jeff Mills (rires). Chaque morceau qu’il produit a un sens. Selon ses dires, ce n’est pas lui qui fait la musique, ce sont ses ancêtres, qui s’écoulent ensuite à travers lui. C’est mystique mais c’est génial.
Quels sont tes meilleurs souvenirs de tournée ?
Pendant un mois, un a enregistré un album à Kobe avec Mike, DJ Skurge, Esteban Adame… dans un environnement totalement nouveau: on utilisait de l’énergie solaire et éolienne. C’était vraiment spécial. Je m’en souviendrai toute ma vie: j’étais avec mes mentors, je faisais partie de l’histoire.
Il y a aussi mon premier live au Berghain avec Los Hermanos, on était un groupe de 5 membres et il y avait des pauses entre chaque morceau. Mais on a vite compris qu’on ne pouvait pas faire ça là-bas ! On se disait “Merde personne ne danse il faut qu’on y aille, allez 1, 2, 3… !” C’était vraiment drôle.
Aussi, une de mes anecdotes favorites en tant que DJ, c’était au Panorama Bar. Là-bas, tu peux jouer tout ce que tu veux contrairement au Berghain où tu dois y aller fort. Un jour j’ai même joué de la salsa. Je jouais donc de 5h à 9h, il faisait jour dehors. J’ai lancé « Pa Mi Gente », un morceau que j’ai produit sur Planet E qui est très spécial pour moi puisque c’est Carl Craig qui l’a édité et mixé. Quand je l’ai lancé, tous les rideaux étaient fermés, il faisait noir à l’intérieur, et juste au moment du break quand le vieillard commence à chanter et que le track se fait chaleureux, le régisseur lumières ouvre les rideaux, laissant les rayons du soleil inonder la piste de danse. Je te jure, j’ai failli pleurer. Le Panorama Bar débordait d’amour, c’était incroyable. Alors j’ai regardé le régisseur : il était en train de fumer un joint, l’air de dire “Hé ouais mec” ! Il avait tapé dans le mille.
Propos recueillis par Kim-My S.Phabmixay