Festival Maintenant : questions à Gaëtan Naël
Le grand monsieur derrière l’asso Electroni[K] dévoile les carburants de ce festival à la croisée des disciplines.
Tsugi : Primo, pourquoi ce changement de nom ?
Gaëtan Naël : Depuis 2010, on a pas mal réécrit le projet, la structure a évolué, de nouvelles têtes sont arrivées, on a aussi réduit un peu la voilure… Et on souhaitait évidemment avoir un nom qui “épouse” davantage le festival en lui-même. Déjà, on voulait un mot français, non pas pour se donner un côté “on défend la culture de notre pays”, mais simplement pour être identifiés rapidement comme un événement français. De manière très terre-à-terre également, notre ancien nom (le festival Cultures Electroni[K], ndlr) n’aidait pas franchement Google… Enfin, on n’a pas envie d’être vu dans tant d’années comme “le festival qui tient depuis tant d’années. On ne sait pas, Maintenant est un festival en 2013, mais d’ici 5 ou 10 ans, ce sera peut-être autre chose ! C’est aussi cette dynamique de projet en perpétuel questionnement que nous voulions expliciter avec ce nouveau nom. Nous ne sommes qu’une enveloppe en fin de compte…
Il semblait aussi que vous aviez envie de vous émanciper de l’étiquette de “festival électro”, non ?
Il y a ça, oui, mais quelque part, le leitmotiv du projet n’a jamais changé : le festival n’a jamais été un festival de musique électro au sens pur. Depuis 2010, on essaie aussi de “mieux dire” les choses, mais dès la première édition, tous les aspects étaient déjà présents : la question du son, les instruments électroniques comme organiques, les installations, le questionnement de plein de notions artistiques, le côté plastique… Personnellement, je suis plus embêté avec la notion de “numérique” qu’on nous colle parfois… C’est un peu un mot-valise, absolument toutes les créations musicales, mêmes les plus folk, sont blindées de traitement numérique, et ce qu’on appelle “l’art numérique” est en réalité bien mal nommé…
Quelles sont vos singularités, du coup ?
Déjà, nous n’avons pas de tête d’affiche, parce que nous ne travaillons pas de grandes jauges, nous allons au contraire privilégier la proximité, nous avons déjà refusé des propositions pour garder cette composante. Même si la question du son est récurrente chez nous, on propose beaucoup de projets hors-musique, pour créer des ponts que pourront emprunter les mélomanes. Et enfin, c’est peut-être aussi un mot-valise, mais bon : tous nos projets ont une dimension sensible et poétique. Même si nous avons des événements qui s’adressent aux connaisseurs, et qui permettent d’analyser et de décortiquer tel ou tel travail sur le son, la matière ou que sais-je, je pense que la plupart des gens, y compris ceux qui ont un bagage culturel dense, ne veulent pas se poser la question du pourquoi à chaque instant : ils veulent ressentir une émotion, même si elle nous dit “j’aime pas”.
Après, notre but, pour reprendre ta question, n’est pas de nous singulariser “pour le principe”. Comme je te l’ai dit, nous avons repensé notre système de fonctionnement en 2010, aussi en interne : nouveau conseil d’administration, nouveaux bénévoles, équipe élargie, bref, la plupart des décisions, même artistiques, se prennent presque tout le temps à plusieurs, et ça, c’est peut-être quelque chose qui ne se voit pas trop ailleurs et qui apporte une énergie particulière… Et l’objectif, donc, c’était davantage de coller à ce que doit être, selon nous, un projet d’action et de diffusion culturelle.
Vous pensez que les gens ont perçu le message, que vous êtes maintenant considérés comme un festival qui s’adresse à tous et pas uniquement aux connaisseurs ?
Évidemment, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, mais depuis ce moment charnière d’il y a trois ans, on a tout de même l’impression qu’il y a un corps de gens qui sont extérieurs à notre sphère, des enseignants, des jeunes, qui réagissent, et que la communication passe. Par exemple, avant, le festival était pérenne mais pas mal d’événements du festival n’affichaient pas non plus totalement complet. Cette année, on se retrouve déjà complets sur beaucoup de propositions avant même le début du festival, que ce soit sur la Nuit Américaine avec Jeff Mills, qui n’est pas forcément si facile d’accès (le fameux producteur techno jouera avec un orchestre symphonique, ndlr), ou sur le projet de sieste musicale pour les tout-petits… Je tiens a préciser que les acteurs du milieu éducatif, entreprenarial et culturel comprennent d’ailleurs que la culture créative que nous défendons a un sens : on est bien sur des concepts qui mélangement le design, le son, l’éducation, la question de la transmission, les arts plastiques, la place de la technologie dans la société… C’est d’ailleurs dommage qu’aucun média ne prenne ce sujet à bras le corps, car beaucoup de ces gens-là comprennent que ce genre de positionnement trans-disciplinaire est de plus en plus important pour faire émerger de nouvelles idées. “Ceux qui savent”, dans un sens, sont parfois trop “façonnés” pour sentir la chose, et attendent plus volontiers l’arrivée d’un nom potentiellement chaud dans la programmation… C’est un syndrome que l’on se traîne depuis qu’on a programmé Justice en 2006. Cette année, par exemple, tout le monde semble se focaliser sur FunkinEven !
Du coup, toi qui es curieux par nature, tu dois avoir un avis sur la très bonne santé de milieu électro actuel, qui coïncide avec une certaine uniformisation, voire une baisse de qualité du propos artistique ?
Dans ta question, je vois deux choses, et j’ai une analyse assez simple à te proposer. Premièrement, j’ai l’impression que les festivals cristallisent de plus en plus le besoin naturel qu’ont les êtres humains à se rassembler autour de choses qui fédèrent. Beaucoup de festivaliers se déplacent dans les grands festivals français davantage pour participer à ce rassemblement que pour la prog’… Tout ça pour dire que beaucoup de festivals de seconde génération, comme Marsatac ou Panoramas, ont été acteurs inconscients du transfert de ce principe de rassemblement au sein de leur enceinte. On aime tous se dire qu’on s’amuse ensemble, non ?
Ensuite, c’est un amas de petites choses : la démocratisation du home-studio, le dématérialisation de la musique, la diversification des supports d’écoute, ont aidé à finir le processus de démocratisation, qui s’est accéléré grâce aux outils de diffusion, aux blogs, aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, tout va plus vite ! Le mainstream s’est mis à jouer avec des nouveaux procédés, les producteurs électro vont bosser avec des voix, ou pour des artistes renommés… Bref, le phénomène de concentration s’opère. L’électro, c’est la pop d’aujourd’hui, disons que la pop devient de plus en plus électronique. Et quand tu écoutes Rihanna ou A$AP Rocky, merde, il y a des prods assez audacieuses qui arrivent derrière ! Après, naturellement, beaucoup trop d’artistes vont se laisser embarquer par cette médiocrité, cette efficacité a minima, que l’on voit un peu partout, en effet, et cette culture de flux n’arrange rien. Aujourd’hui, les artistes électro qu’on programme, ils sont là parce que leur démarche colle à ce que je te raconte, qu’elle met en danger les petites habitudes du genre pour les confronter à plein d’autres choses, notamment sur scène. Actress, la première fois que je l’ai vu, c’est bien simple : ça ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà vu, et c’est encore possible aujourd’hui.
Tu as des choses à conseiller aux lecteurs de Tsugi qui se rendraient au festival Maintenant et qui ne connaissent pas encore trop l’univers que vous travaillez ?
Il ne faut absolument pas rater 1-Bit Symphony de Tristan Perich. Il est autant en train de réinterroger la techno que le live, la production, le support de cette production, tout ça en même temps et avec une intelligence incroyable. Lesley Flanigan fabrique ses systèmes d’amplification dans des FabLabs, et elle donne dans une ambiant vocale assez intéressante. Et puis il faut aller jeter un oeil au 4bis pour voir la Boîte, un projet de Gangpol et Guillaumit que vous connaissez sans doute déjà sous le nom Gangpol & Mit, il s’agit de meubles avec technologies embarquées, et c’est impressionnant de voir ces gars-là passer d’un live électro à un projet techno-éducatif avec une vraie magie.
Festival Maintenant, du 14 au 20 octobre à Rennes
Plus d’informations sur www.maintenant-festival.fr