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23 septembre 2013

Chroniques du dancefloor

par rédaction Tsugi

Les allocations chômage d’un côté, la dance music de l’autre. Dans la lignée du Trainspotting d’Irvine Welsh, toute une veine de romans ecstasiés mixe dope, love et house. Où le DJ devient une figure héroïque, et le dancefloor l’épicentre de toute existence. Bienvenue au club.

“On a mangé au McDo le soir où ma mère a eu son cancer du poumon.” C’est ainsi que s’ouvre Pommes, le premier roman de Richard Milward, né en 1984 à Middlesbrough, dans le nord de l’Angleterre. On comprendra vite que, face au réel, sordide, ses personnages principaux, Adam et Eve, deux ados névrosés, auront recours aux drogues et à la musique électronique pour s’offrir une salutaire re-création d’un monde. La Genèse, c’est dans l’underground, et pas ailleurs. Comme Irvine Welsh, l’auteur de Trainspotting, Milward dépasse le fameux réalisme social anglais à la John King pour aller vers une sorte de “psychédélisme social” avec, en toile de fond, les allocs chômage d’un côté et la dance music de l’autre. Adam est fan des Beatles et il en a marre d’être “un pauvre con chiant comme la pluie”. Eve est émancipée et Adam est amoureux d’elle. Ils dansent à l’Empire sur Energy 52, se cherchent un peu, et Eve finit par poser les bonnes questions : “Mes copines et moi on avait déjà vu Judge Jules à l’Empire, mais qui c’était ce foutu Laurent Garnier, on aurait dit le nom d’un parfum ?”

LE CLUB COMME CHAMP DE BATAILLE

Jeune auteur génial, qui a écrit et publié ses deux premiers romans entre 19 et 23 ans, Richard Milward a l’art de portraiturer une génération autant qu’une société anglaise toujours aussi moribonde.Intrigué, on l’a contacté, et voici le topo : “J’ai écrit après avoir découvert les plaisirs – mais aussi les calamités – des clubs, avec les drogues. C’étaient des environnements extrêmes, des champs de bataille où se font et se défont les amitiés, sur une musique à se faire exploser les tympans. Ce sont des lieux viscéraux, alors il me paraissait intéressant de les garder comme toile de fond. Mes romans sont un mélange d’autobiographie, d’observation et d’imagination pure, mais bon nombre de faits sont basés sur mon expérience. J’ai ingurgité à peu près les mêmes substances que mes personnages. Ensuite, il suffisait d’ouvrir les yeux et les oreilles en traînant dans les pubs et les clubs, pour avoir encore plus de matière à histoires…” 

Dans Block Party, l’écrivain esquisse la monographie d’une cité, où “Bobby l’Artiste” s’empiffre d’ecstasy pour peindre, quand lui et sa copine Georgie ne se déhanchent pas sur Bardo Pond ou DJ Aligator : “Quelques-unes des meilleures toiles de Bobby sont le résultat direct d’une défonce à base de MDMA; elles sont toutes colorées, joyeuses et délirantes et parfois il finit même par leur faire l’amour.” Leur univers, c’est la zone. Et leur porte de sortie, la boîte du coin, l’Aruba. Leur vie tient sur un équilibre fragile, qui risque de partir en vrille dès que l’artiste commencera à avoir du succès. Moralité : ce qui est produit dans l’underground ne devrait jamais quitter l’underground…

Si toute une littérature a pris racine dans cet univers de dope, de love et de house, on la doit aussi à des “parrains” comme Nicholas Blincoe, qui a raconté la “folie Manchester” à travers des polars hallucinés. Où “Madchester” est rebaptisée “Gunchester”… Dans Acid Queen, paru en 1996, il campe un drôle de personnage, Estella, travelo et tueuse à gages. Et rend hommage à une nouvelle figure romanesque héroïque, le DJ. Sans oublier le VJ, comme Junk, qui mixe des extraits de courts-métrages surréalistes tchèques avec des vidéos de skateboard et des films de kung-fu. Blincoe offre aussi une voix aux vieux truands qui ont raté le Summer of Love pour cause de taule: “On était pas privés d’ecstas, on en trouvait en prison. On a même dansé sur le toit de la prison la semaine des émeutes, mais l’ecsta était quand même gâché : personne allait déclencher une immense partouze à l’intérieur de la prison.” 

 

LA NUIT EST UNE ESCALE

Chez José Ángel Mañas, les mauvais garçons qui hantent les nuits madrilènes, comme Kaiser, qui deale des amphétamines et de la coke, aiment uniquement la musique électronique. En pleine guerre des territoires, le club est toujours une sorte de QG. Au Lunatik, décoré de tableaux “subjectionnistes”, Kaiser traîne avec Roni, le DJ qu’il admire, un mec venu de Detroit et qui lui a parlé de Juan Atkins et de The Electrifying Mojo… Lors de ses pauses, Kaiser suit, admiratif, les sets de Roni : “Il y avait une progression naturelle, avec un début et une fin. Il avait un feeling très personnel qui absorbait tout, et ce que tu entendais, c’était du Roni en train de mixer. Il t’obligeait à le suivre dans son voyage émotionnel. Il était toujours en train d’innover, tu n’arrivais jamais à repérer deux fois le même cut. Il arrêtait pas de dire qu’il avait l’impression de vivre en 2030: il allait nouspréparer au putain de futur.”

À l’autre bout du monde, dans l’underground de Shanghai, “l’Acteur” est un cinéaste qui filme deux soeurs atteintes du virus du Panda : elles ne font l’amour que deux fois par an. Il s’agit de Panda Sex, de Mian Mian. La quête du love est difficile, semée de happenings et de bringues décadentes. On se défonce en dansant sur les mixes de DJ Bobby, au Superficial Club où, comme ailleurs, “la vérité se trouve dans la chair”. Le monde est en transit, la nuit est une escale, et Shanghai un village: “Les voyageurs, (…) pour elle, cela signifiait le sexe et l’amour hors taxe, Shanghai est un grand duty free.”


C’est le DJ qui façonne les univers et redéfinit les libertés ; pourtant, il est tout sauf un manipulateur. Juste un révélateur, qui a pu observer comment “on est passé de la mélancolie à la vanité”, entre les années 80 et les années 90, si l’on en croit l’écrivain allemand Tom Liehr, auteur d’À contresens. Liehr raconte l’histoire de Tim, qui avait 6 ans quand ses parents sont morts, dans un accident de voiture. Confié à une famille d’accueil, Tim est élevé par Ute et Jens. À sa majorité, il reçoit enfin l’héritage de son père biologique, soit des caisses de 45 tours et une chaîne avec une table de mixage artisanale. Découvrant que son père était “une sorte de DJ préhistorique”, il trouve sa vocation, qu’il exercera à Berlin dès la fin des années 80. Il anime des soirées à la Tente, remixant des trucs comme “Berlin”, de Fischer-Z. “Bien sûr, on me remarquait moins que ces groupes de fêlés qui bousillent leur gratte mais quand, du haut de l’estrade, je lançais un regard à la foule sautillante qui se soumettait avec complaisance à chaque changement de tempo, chaque modification de la dramaturgie, (…), je ressentais quelque chose qui devait être très proche de ce que les rockers éprouvaient lorsque leurs gestes sont imités par un millier de personnes.” Faisant le constat amer que “les DJ’s sont des putes, et les clubbers leurs clients”, Tim devient une figure dramatique, qui sait enchaîner ce qui fera la bande-son des danseurs, mais qui est incapable de trouver un fil rouge à sa propre existence, faite de drames et de ruptures…

 

LE BEAT EXISTENTIEL

Même syndrome chez DJ Darky, l’anti-héros de Slumberland, de Paul Beatty, qui mixe également à Berlin, après avoir quitté Los Angeles. Désabusé, il s’interroge sur la négritude et sur son identité, tout en faisant tourner les disques sur ses platines. Il a une mémoire phénoménale, retient tous les sons, mais demeure obnubilé par le beat parfait, pour lequel il mènera une étrange quête, quasi mystique, pour devenir véritablement la “Joconde sonique”. Oui, les DJ’s peuvent sauver des vies. En France, Vincent Borel raconte, dans Un Ruban noir, l’épopée d’un homme malade du sida, qui part à Barcelone dans des méga raves où la techno trance, l’ecstasy et l’amour pourraient le mener à la guérison. Pour ces personnages cabossés, qui aimeraient juste “y arriver”, une seule certitude, finalement : “God is a DJ”…

 Cédric Fabre

POMMES et BLOCK PARTY de Richard Milward (POINTS/SEUIL ET ASPHALTE)

ACID QUEEN de Nicholas Blincoe (GALLIMARD/SÉRIE NOIRE)

LA VILLE DISJONKTÉE de José Ángel Mañas (MÉTAILIÉ)

PANDA SEX de Mian Mian (LE DIABLE VAUVERT)

À CONTRESENS de Tom Liehr (ASPHALTE)

SLUMBERLAND de Paul Beatty (SEUIL) 

UN RUBAN NOIR de Vincent Borel (BABEL/ACTES SUD, RÉED. J’AI LU) 

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