Daft Punk : notre chronique de ‘Random Access Memories’
“Daft Punk, c’est les Quentin Tarantino de la musique.” On reprendra à notre compte cette réflexion d’un ami provoquée par l’écoute de Random Access Memories. Tout comme le cinéaste hollywoodien brillant spécialiste de la déclinaison de films de séries B et Z des années 50 à 70, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ne possèdent pas le génie de l’invention mais celui de la réinvention. Homework reliftait la house de Chicago, Discovery dépoussiérait l’imaginaire eighties, Human After All, seule ombre au tableau, tentait lui maladroitement de singer l’électro-techno-clash. Aujourd’hui, Random Access Memories remue nos entrailles grâce à 90 % (on reparlera plus tard des 10 % restants) de “pastiche” ébouriffant et inspiré qui nous plonge aux confins de la galaxie disco-funky du milieu des années 70. Notez bien le “y” de “funky”. Une voyelle qui marque la différence. Comme une frontière où le funk, nerveux et engagé, se nappe d’une couche de paillettes scintillante, vaguement vulgaire. George Clinton est funk, Kool & The Gang est funky. Sly Stone est funk, Chic est funky.
Précédé d’une campagne de teasing/marketing comme on n’en avait encore jamais vu (au risque d’en saouler plus d’un), plus de deux mois avant sa sortie officielle, l’album – le plus attendu depuis que l’homme a inventé Internet – est donc une ode au bon vieux temps. Celui que ni eux, ni vous, ni moi n’avons bien sûr connu. Mais que Daniel Vangarde, le papa de Thomas Bangalter, producteur (entre autres) d’Ottawan et des Gibson Brothers, a vécu en première ligne. Le fils aurait-il donc voulu rendre hommage au père, ou au moins aux sons qui ont bercé son enfance ? L’hypothèse éclaire la compréhension d’un disque, dépourvu de samples, nourri d’une intense nostalgie. Révélant ainsi une facette inédite des Daft qui n’ont jamais paru aussi touchants et vulnérables.
Huit ans que le duo n’avait rien sorti. On fera abstraction de la BO de Tron, travail de commande pour Disney que tout le monde aujourd’hui a oublié. Lorsque l’on a su le casting trois étoiles (Nile Rodgers, Julian Casablancas, Panda Bear, Pharrell Williams, Gonzales, Todd Edwards, DJ Falcon, Giorgio Moroder, Paul Jackson Jr) impliqué à la réalisation, on a douté, flairant le manque d’inspiration. Presque une décennie pour arriver à produire un disque, ça fait quand même sacrément long. Est-ce que ça valait le coup d’attendre ? Par sa singularité et sa liberté artistique, ne le rattachant à aucune mode, Random Access Memories est le successeur logique de Discovery, abus de vocoder compris. Les slogans (“Right back to the music”, “This is a game of love”, “There’s so many things I don’t understand”, “Loose yourself to dance”, “Hold on, love is the answer”) que l’on entend au fil de ces soixante-dix minutes donnent le beat, rythmant ainsi la face la plus mélancolique du disco. Ce qui n’empêche pas la prolifération de tubes potentiels. Mais à coup sûr, certains seront déçus de voir que les Daft ont viré de leur vocabulaire les mots “techno” ou même “électronique”.
Sauf qu’après ces onze titres tournés résolument vers le passé, Random Access Memories se conclut en apothéose futuriste (les 10 % dont nous parlions au début de cette chronique) avec deux morceaux insensés. “Doin’ It Right”, où Panda Bear d’Animal Collective vient poser sa voix, marque l’apparition inespérée d’un “pied” techno qui vient ponctuer des harmonies vocales irréelles que n’aurait pas reniées Brian Wilson. Quant à “Contact”, conclusion assourdissante – ses claviers pétaradants tout en arpèges, ses roulements de batterie surpuissants, ses bruits de sirènes qui partent en vrille, et surtout son gros pied qui tabasse -, c’est un étrange bras d’honneur punk à tout ce qui a précédé. Une démonstration hallucinante montrant que les Daft n’ont (peut-être) pas oublié le sens de la rave. Comment Thomas et Guy-Man réussiront à transcrire sur scène ce grand écart ? À eux de nous le dire… (Patrice Bardot)
Random Access Memories (Daft Life/Columbia/Sony Music)