En direct du Festival International de Jazz De Montréal 2013
Reconnaissons-le, les appellations de festivals deviennent de plus en plus floues. Alors que bon nombre d’évènements « rock » invitent presque parfois plus de malfaiteurs électroniques que l’inverse, voilà que le jazz s’ouvre à la pop. Parce que oui, remplir les salles pendant 10 jours entiers n’est pas chose aisée : l’auditeur ayant besoin de plus que sa curiosité pour sortir sa petite carte de crédit, il faut s’élargir. Et ça, le festival de Jazz de Montreal l’a très bien compris, à l’instar de celui de Montreux sur notre continent Européen. Résultat, on voit apparaître sur l’affiche George Benson (si si, « Give Me The Night », ou « Donne-Moi Du Cash » pour les incultes) ainsi que Woodkid, qui doivent surement avoir pour seul point commun le fait qu’ils fassent les deux de la musique. Irons-nous jusqu’à nous plaindre ? Pas vraiment, puisque cette nouvelle tendance suit la logique des nouvelles formes d’écoute musicales du public, c’est-à-dire extrêmement diverses et variées.
Nous voici donc à l’aéroport de Paris prêt à décoller pour la principale métropole du Québec. Au regard du programme, nous allons davantage trainer du côté de la pop à guitare que des jams sessions au piano. Ainsi soit-il. Après sept heures de vol et pas mal de décalage horaire dans la tronche, nous arrivons à Montréal en découvrant le site du festival. Situé en plein centre-ville, le FIJM pour les intimes prend place sur la Place Des Arts, grande localisation de salles de concerts et de musées sur un espace concentré, avec des scènes gratuites extérieures. Notre premier stop se fait le vendredi soir au sein de la grande salle de spectacles ultra-moderne Wilfried Pelletier. Here We Go Magic, en rangs resserrés, se charge de présenter son dernier album A Different Ship. Bricolée, faite-main, et foutraque, la pop de ces cinq américains est profondément attachante. Et encore plus en live : chacun y va de sa petite partie, pour donner un mélange final particulièrement réussi. Mais si Montréal est venue ce soir en masse, c’est bien pour voir sur scène le retour des Belle & Sebastian. Difficile de décrire l’aura dont jouit le groupe, discret et constant, souvent affilié aux Smiths. Dans tous les cas, le concert en lui-même est une franche réussite, qui démontre à quel point la petite bande a toujours su écrire des vraies chansons, parfaitement menées par Stuart Murdoch, leader plein de sympathie faisant participer le public en invitant des gens sur scène pour chanter avec lui, ou tout simplement danser devant toute l’assistance présente. Sincère et marrant.
On ressort tout sourire pour aller du côté du Club Soda cette fois-ci, salle de concert plus habituée à accueillir des groupes de scène (Foals, Two Door Cinema Club, 1995) pour assister à la prestation de Chrysta Bell. La jeune fille est connue en tant que protégée de David Lynch (qui a participé à la composition intégrale des titres de son premier album à paraître) et disons-le tout de go, on n’a pas tout compris. Accompagnée de trois musiciens au charisme un peu discutable, la jeune fille arrive en pin-up des années 50, et passera plus de temps à plus se concentrer sur ses mimiques et sa gestuelle de diva montante que sur sa musique, qui se veut sombre et lancinante, mais qui finit vite par fatiguer. Au lit.
Notre deuxième jour au Québec commence par une découverte. Une très belle même : il s’appelle Leif Vollebeck, il vit à Montréal et livre une folk follement touchante. Petit protégé de la ville, le garçon a eu droit à trois concerts d’affilés durant le festival. Nous étions au deuxième, et on a eu un coup de cœur. Leif sait toucher là où il faut, tantôt à la guitare, tantôt au piano et fait preuve d’un story-telling dans ses paroles particulièrement juste. Le contraste entre ses petits commentaires drôles et gênés entre les morceaux et sa musique est impressionnant, et brouille les pistes sur notre personnage. On apprendra plus tard qu’il a déjà deux albums à son actif unanimement acclamés par la presse Canadienne, il va falloir penser à jeter une oreille dessus. Autre ambiance du côté de la Place des Festivals avec The Cat Empire qui vient faire un concert surprise gratuit, et fait sauter la foule avec son rock multi-genre. Pas méchant, mais nous, on est quand même un peu moins convaincus que les premiers rangs… ce qui n’est pas le cas du concert des Chinese Man au Club Soda, qui livrent une prestation hip-hop joyeuse et explosive, en invitant trois MC’s à tour de rôle, en plus des séquences de scratch à deux assez impressionnantes.
Le troisième et dernier soir s’annonce comme le plus chargé. On tente d’aller au Club Soda en début de soirée pour s’essayer au groupe Canadien Mother Mother, mais on fuit très vite devant cette sorte de rock FM vide de chez vide. Les looks extravagants de ses membres (crêtes géantes, fringues discutables) nous confortent dans l’idée que nous n’étions absolument pas à notre place. On passe alors se vider les nerfs devant Francis Et Ses Peintres, groupe de jazz/rock qui a fait par le passé des reprises de chanson française avec Philippe Katerine. Le quatuor réalise l’exploit de faire exprès de mal jouer, sans jamais passer la frontière de l’inaudible. De leurs instruments ressort ainsi une musique naïve mais trahie par un souci de bien faire sonner la chose, avec des titres de chansons aussi géniaux que l’humour de leurs interprètes (« L’Affaire Bettencourt », « Idiot »…). Les gens partent sous la pluie, tandis qu’on se marre bien en comprenant l’intention troll des quatre garçons. Il est maintenant temps de passer aux choses sérieuses : ce sont les Specials que l’on attend au tournant ce soir. Résultat, la bande britannique livre surement l’une des meilleures performances de notre festival : pas usé par les années pour un sou, le gang retourne la salle qui danse dans tous les sens, livre des messages toujours autant d’actualité malgré leurs 30 années d’écart, et jouit d’une classe folle, notamment de la part de Terry Hall chanteur au flegme britannique assez incroyable. « Hey Kids, we’re still here ». On finit par aller au concert de SUUNS, qui jouent ce soir en terre conquise: à l’instar de Images Du Futur, leur deuxième disque, les garçons emportent le public dans une expérience visuelle et auditive troublante, qui incite à la transe. Filmée via une petite caméra qui diffuse des images modifiées du groupe en mode Windows 98, le bande montréalaise remplit la salle de sa musique répétitive et entêtante, où guitares graves répondent aux synthétiseurs forcenés pour une heure d’expérimentation les yeux fermés.
Nous voici maintenant dans l’avion du retour, cinq jours plus tard. On n’a malheureusement pas entendu beaucoup de notes de jazz, mais pour tout le reste, on a vraiment pris plaisir à s’immiscer dans l’évènement, se ballader en ville et manger beaucoup trop de burgers et hot-dogs à l’américaine. Eh oui, on ne se refait pas.
Meilleur moment : Croiser Philippe Katerine dans le hall de notre hôtel, qui d’un sourire approbateur valide notre chemise Hawaïenne. Elle est bénie.
Pire moment : Le passage à la douane canadienne à l’arrivée, complétement parano, qui nous fait subir un interrogatoire que Jack Bauer n’aurait probablement pas renié.
Brice Bossavie