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14 mai 2013

Woodkid, l’enfant sauvage (partie 2/2)

par rédaction Tsugi

 

 

Il joue avec un orchestre symphonique, donne un concert sous la tour Eiffel, fricote avec les stars et ne cache pas son ambition : il veut marquer le monde. Et le monde lui appartient déjà un peu, lui qui est déjà devenu un “french” phénomène. Alors que sort son premier album The Golden Age, retour sur le jeune parcours de Yoann Lemoine, alias Woodkid.

La bande de Brooklyn

La musique, si elle a toujours été présente, a mis du temps à être envisagée de manière sérieuse. “Professionnellement, j’étais dans l’image, mais j’ai toujours fait du son le soir en rentrant, j’ai une formation classique de piano au conservatoire. J’ai toujours téléchargé les derniers logiciels qui sortaient pour créer sur ordinateur, toujours enregistré des démos. Je me souviens de Music, un software Playstation où j’ai passé des centaines d’heures à créer des tracks en déplaçant des cubes rouges.” La musique a pris de plus en plus de place à partir de 2006, quand Universal lui commande un documentaire sur Richie Havens, une légende folk new-yorkaise. “Je me souviens d’une journée de tournage à Ludlow Guitars, un célèbre magasin du Lower East Side de Manhattan. Richie m’a donné un instrument, me l’a accordé et m’a appris à en jouer.” Les premières démos de Woodkid naissent dès son retour à Paris. Ces deux années passées entre Paris et New York l’ont aussi immergé dans une scène locale formatrice. “J’ai rencontré toute une clique de musiciens locaux, la bande de Brooklyn avec Rufus Wainwright, Chris Garneau, Patrick Watson ou même l’acteur Joseph Gordon-Levitt qui jouait de la guitare. Ils sont pour moi un exemple d’équilibre entre popularité et crédibilité.” En 2009, Woodkid est déjà dans les tiroirs, son géniteur confie alors avoir fini les maquettes d’un premier album qui possède même un nom, Wood & Crystal. Que s’est-il passé pour que cet album, renommé The Golden Age, sorte finalement quatre ans plus tard ? “En fait, à un ou deux morceaux près, ce sont les mêmes maquettes. ‘Iron’ était déjà là ! ‘Wood & Crystal’ est resté, même s’il s’appelle aujourd’hui ‘The Other Side’. Les morceaux ont été très compliqués à produire. Travailler avec l’Opéra de Paris et l’Orchestre national de France est un plaisir laborieux. Tout ce qui en sort revêt un caractère sacré auquel il est difficile de toucher. Et travailler avec des producteurs électro n’est pas simple non plus. Alors mêler les deux…” Entre-temps, Yoann aura donc copiné avec la scène électro française. Ses voisins de label par exemple, The Shoes, et plus particulièrement Guillaume, aux machines sur son live et au rang de coproducteur sur l’album. Sebastian aussi, qui lui écrit et produit le morceau “Stabat Mater”, alors que Brodinski et Gesaffelstein se lancent dans des remixes. Entre-temps, il aura aussi croisé la route de Lana Del Rey, qui mettra en lumière ses talents de clippeur (pour “Born To Die” puis “Blue Jeans”) et ses débuts musicaux, ils chanteront même à New York ensemble, au Highline Ballroom. “On s’est avoué une admiration commune sur Twitter, à l’époque du tout début de ‘Video Games’, ‘Iron’ était déjà sorti depuis quelques mois. Je l’ai emmenée dans un très bon restaurant de viandes espagnol à Londres. C’était un faux départ, parce qu’elle est végétarienne, mais nous ne nous sommes plus quittés ensuite. Avant même que ‘Born To Die’ soit fini, on dressait ensemble des ébauches de clips.” À l’époque, fin 2011, le début de retour de flamme violent qui assomme la nouvelle diva pop lui servira aussi d’exemple : “Ça m’a poussé à ne pas m’exposer et à ne pas précipiter les choses.”

Génération trash-market

Il aura fallu donc presque quatre longues années pour peaufiner la bête, le monstre, un projet gigantesque et total, pensé dans ses moindres petits détails. Quatre ans pour enfin créer ce monde parallèle qu’il s’imaginait enfant, un conte épique et initiatique aux proportions presque saugrenues, qui emprunte aussi aux jeux vidéo. “Je suis très inspiré par le format du RPG (ou jeu de rôle, genre du jeu vidéo qui met en avant l’évolution des personnages et l’apprentissage, ndlr). L’idée de construire un monde alternatif dans lequel tu t’inspires du monde contemporain pour en créer un neuf avec sa propre religion, sa culture, ses coutumes, ses modes.” On sent chez Yoann Lemoine une motivation toujours gamine, une ambition de cour d’école d’avoir la classe, d’épater l’assistance, de mettre sous le nez de ses petits camarades ses toutes nouvelles sneakers LA Gear qui clignotent quand il marche. Une fierté de gamin qui lui aura fait calculer dans les moindres petits détails son ascension. Le nouveau sommet, déjà gravi, s’appelle The Golden Age, une odyssée d’un premier degré total, partagée entre romantisme noir, lyrisme grandiose et ambiances de péplum homoérotique. Un vrai concept album multimédia (musique, clips, graphisme et même livre, voir encadré), dont son chef d’orchestre est prêt à assumer les outrances jusqu’au bout. “Il n’y a pas d’humour ou de second degré dans mon projet, mais je ne crois pas qu’on reprocherait à un film de science-­fiction de ne pas en avoir non plus. Je ne sens aucun besoin de désamorcer la tension, de glisser un coussin péteur ou une blague pourrie à la fin. Je ne veux pas me défendre de faire des choses que j’estime belles, au premier degré. Personne ne me forcera à m’excuser de faire les choses bien, encore moins à une époque où le créneau ‘lo-fi rigolo bricolé’ est saturé. J’adore le travail visuel de Panteros666 ou Jerome Lol, qui touche l’infographiste en moi, mais tant d’autres cherchent à exister de peu d’efforts et en tirent un sentiment de cool idiot. Internet a créé une génération de trash market où tout doit venir plus vite, moins cher et avec une moindre attention au détail. Je suis contre ce zappage, je me vois artisan. Et je ne veux pas m’excuser non plus du romantisme presque outrancier de Woodkid. Cette contradiction entre force et fragilité, masculin et féminin, cette lutte interne liée à la quête de l’identité sexuelle, c’est ce qui m’intéresse.” Enfin, il ne veut surtout pas se sentir gêné de voir grand, d’être ambitieux. “L’idée de laisser une trace, une empreinte sur le monde à la plus grande échelle possible, m’obsède. C’est sûrement lié à mon désir d’enfant, de transmission. Je suis obsédé par la quête métaphysique la plus évidente du monde : qui suis-je ? Quel est mon rôle dans ce monde ? Obsédé par la notion de spectacle, l’idée de grand divertissement. Fasciné par le Hollywood d’il y a quinze ou vingt ans, des grandes heures de Spielberg ou Scorsese, de la grosse production qui n’a pas oublié d’avoir un vrai propos. Je ne veux pas culpabiliser de vouloir le succès. Cette ambition me paraît saine quand on fait de belles choses.” Lemoine apparaît comme un grand enfant donc, partagé constamment entre le besoin de séduire, de voir ses actions validées par autrui, et celui d’emmerder son monde, de secouer un peu la fourmilière. “Je comprends que mon travail donne l’impression que j’essaie de rentrer dans le crâne des gens au bélier. Mais ce que je fais est plus subtil et j’espère qu’au moins 10 % de ceux qui m’ont écouté s’en rendront compte.”

Le monde de demain

En attendant, le “projet” Woodkid est déjà dans sa phase finale, et Yoann Lemoine tourné vers la suite. “Je rêve de collaborer musicalement avec d’autres, on essaie de monter des choses avec Santigold, Charli XCX ou peut-être même Kendrick Lamar, qui avait samplé ‘Iron’. Il y a aussi le jeu vidéo, à travers ma relation avec Ubisoft (éditeur français pour lequel Yoann avait œuvré, sur la musique du jeu Assassin’s Creed, ndlr).” Mais son vrai prochain rêve, c’est le long-métrage. À presque 30 ans, il vient de déménager à New York pour reprendre les cours à la New York University en écriture de scénario et histoire du cinéma contemporain. Le projet traitera toujours des mêmes thèmes, l’entrée à l’âge adulte, la quête de l’identité… “Pour l’instant, j’ai deux pistes, l’une très visuelle et l’autre plus axée sur les personnages. On n’y est pas encore. Si je dois rêver encore plus loin, ce serait d’être aux Oscars… (il sourit) Je vais déjà aux Grammys (nominé pour le clip de ‘Run Boy Run’, ndlr), c’est un rêve d’enfant.” Si l’histoire du petit Woodkid se termine mal, pétrifié dans la froideur du monde adulte, celle de Yoann Lemoine semble devoir ne jamais s’arrêter de grandir.

THE GOLDEN AGE (Green United Music/Pias)

www.yoannlemoine.com

Retrouvez l’intégralité de l’article dans le Tsugi numéro 59, en vente en ligne par ici.

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