Plaid & Felix’s Machine : l’installation du mythique duo Warp passe en France ce vendredi
On dirait une ville. De celles décrites dans les romans de science-fiction : une grande tour, avec ses balcons, escaliers et câbles de toute part, comme si un architecte steam-punk un peu taré s’était emparé d’un gratte-ciel. C’est la Felix’s Machine, « machine de Felix » en VF, portant tout simplement le nom de son créateur Felix Thorn. Et chaque petit escalier, antenne ou plateau est un instrument, entre xylophones de toutes sortes et percussions bricolées. Le paradis de tout nerd de musique. Pas étonnant donc que cette Felix’s Machine ait tapé dans l’oeil de Plaid. Le duo électronique, emblématique de la maison Warp (qui comprend également dans ses rangs Aphex Twin, Squarepusher ou Autechre), a la réputation d’aimer bidouiller, inventer et se réinventer, et ce depuis plus de 25 ans. Avec Felix Thorn, Ed Handley et Andy Turner ont créé un live fascinant, où chaque maillet ou baguette est contrôlé par les deux producteurs et où la beauté de l’objet rejoint celle de la musique. Un cadeau de la part des deux Anglais, d’autant plus précieux qu’il est plutôt rare : difficile de se trimbaler avec cette imposante installation, qui a autant sa place dans une salle de concert que dans une galerie d’art. Mais c’est sans compter sur Electrons Libres, le rendez-vous à la programmation toujours défricheuse du Stereolux, qui a invité Plaid à installer sa Felix’s Machine en terres nantaises ce vendredi 30 mars – la seule représentation française de ce genre que donnera le duo au printemps. Immanquable.
On n’aurait pas loupé ça : on en a profité pour discuter avec les deux membres du duo culte, particulièrement patients et accessibles, histoire d’en savoir plus sur cette mystérieuse machine.
Comment ce projet avec Felix’s Machine a-t-il commencé ?
Ed Handley : Nous avons rencontré Felix il y a plusieurs années, au festival Faster Than Sound – un événement assez avant-gardiste qui se tenait à Suffolk, dans le sud-est de l’Angleterre, pas loin de chez moi. Felix était là avec sa machine, qui à l’époque était un ensemble de pianos déconstruits, des pianos réduits en morceaux, avec des pistons contrôlés par des machines via du MIDI. On se baladait, et ça a été l’amour au premier regard avec cette machine, donc on est allé lui parler ! On est resté en contact, on se croisant sur plusieurs petits événements par-ci par-là. Au fur et à mesure, il ajoutait toujours plus de petits éléments à cette machine, comme s’il y invitait de nouveaux membres d’un groupe, avec de nouvelles percussions ou des moteurs un peu bizarres. En dix ans, le répertoire de cette machine s’est élargi, elle permet maintenant de jouer avec de nombreux sons différents. Nous avons finalement décidé de faire un live-show ensemble, en écrivant de nouveaux morceaux pouvant mettre en valeur ces différentes sonorités. Et en dix ans, le design de la machine a également beaucoup changé, Felix en a fait un objet très vertical et fourni. Je trouve ça dingue à regarder, surtout qu’en s’approchant on peut voir précisément d’où vient chaque son. Nous avons fait quelques spectacles avec, et ça fonctionne plutôt bien, même si conceptuellement ça reste une drôle d’idée : on demande aux gens de venir regarder un robot, tandis que nous contrôlons tout ça depuis l’arrière de la scène. Le gens traite cette machine comme si elle était un groupe, en lui faisant face, en l’applaudissant… (rires)
Pourquoi avez-vous décidé de monter ce live-show ?
Ed : Je pense que ça vient d’une fascination d’enfance, des Legos, des Mecanos… On donne ce genre de jouets à beaucoup d’enfants – et plus particulièrement aux garçons, même si cette différenciation semble heureusement en train de disparaître. Et puis, évidemment, il y a une dimension purement musicale dans cette envie de jouer avec la machine : en venant d’un background électronique, c’est forcément intéressant pour nous, car cette installation est une fusion entre deux mondes. C’est un instrument acoustique, mais contrôlé par nos ordinateurs. Donc c’est un beau mariage entre ce que j’aime, la musique électronique, et le côté physique d’un instrument acoustique. Et puis c’est un robot, ce qui est forcément cool ! (rires) Tout ça combiné, et je peux parler pour Andy, Felix et moi-même, est quelque chose qui nous fascine.
Est-ce que c’est aussi lié à une fascination pour les « vrais » instruments, acoustiques et palpables, à l’opposé d’instruments électroniques ou de logiciels de MAO ?
Ed : C’est sûr que les instruments acoustiques sont souvent considérés comme étant plus « sincères », « honnêtes »… Humain en somme. Et il est vrai que quand un humain sait vraiment très bien jouer d’un instrument, le résultat est vraiment expressif et vient du cœur. On ne voit pas la musique électronique de la même façon, j’en a bien conscience, et j’ai une profonde admiration et une fascination pour ces instruments acoustiques. Très souvent, en musique électronique, on essaye de capturer les détails et la complexité des « vrais » instruments ou des sons de notre environnement. Donc forcément, voir ces petites choses percussives bouger dans la machine est quelque chose qui m’attire. Mais la liberté totale que permet la musique électronique est ce qui m’a toujours le plus plu.
Andy Turner (qui vient de nous rejoindre) : Pour ma part, j’ai eu une formation classique. J’ai joué de plusieurs instruments, même si je n’étais pas très doué pour être tout à fait honnête. La machine de Felix propose un beau mariage : elle permet d’entendre des sons acoustiques tout en rendant possible une performance très précise – c’est quelque chose que l’on aime bien en général en tant que musicien électronique. Le meilleur des deux mondes ! Et puis nous très fans des sonorités des percussions à maillets, ce qui ne manque pas dans cette machine.
Comment ça marche ?
Ed : On utilise les mêmes procédés MIDI que pour beaucoup de machines. Dans une grande salle, le son est évidemment amplifié avec des enceintes, donc des micros fixés à la structure. On envoie une note via MIDI, à travers cette espèce de gros câble ethernet, et la note est distribuée à un ou plusieurs instruments – il y a en a seize, et chacun a son propre canal MIDI. C’est donc le même fonctionnement que pour un synthétiseur ou un plug-in. Il y a parfois des petits soucis de timing, car les maillets ne sont pas aussi précis qu’un instrument électronique plus traditionnel. Mais voilà pour le gros du fonctionnement. Evidemment, c’est bien plus complexe que ça, Felix travaille dessus depuis des années, il y a énormément de parties mobiles, de petites machines dans la grande, c’est un boulot incroyable. Et surtout, il est capable de la construire, de la déplacer, tout en la gardant en état de marche. On a fait quelques shows en dehors de l’Angleterre, et c’est toujours très effrayant de déballer les paquets, on a peur qu’un truc casse !
Ces petits délais entre votre commande et le maillet qui tape une surface et produit un son, comment le gérer ? L’avez-vous pris en compte dans vos compositions ou votre set-up ?
Andy : Plusieurs canaux jouent souvent la même chose en même temps, ce qui rend moins perceptible les délais éventuels. Et puis il faut savoir que nous contrôlons plusieurs sorties. Une de ces sorties est dédiée à la machine évidemment, mais il y a en a une pour la vidéo et le mapping, ou une pour envoyer des samples ou des sons que nous voulons avoir en back-up. Sauf que la sortie liée à la machine ne contrôle pas que le son : chaque note déclenche une lampe LED. Sur un snare par exemple, il peut y avoir un délai, le temps que la baguette touche le métal. La LED, elle, n’aura pas de retard. Naturellement, le cerveau va faire un compromis entre ce qu’il voit et ce qu’il entend. Il va donner l’impression que tout arrive de manière simultanée. Mais quoiqu’il en soit, on ne parle que de fractions de secondes ici et là.
Il a donc aussi du mapping ?
Ed : Oui, enfin ce sont plutôt des blocs de couleur que nous contrôlons. Et autour de la machine, il y a des projections, pour souligner quelle machine joue à quel moment. Tout ça est synchronisé et graphique, totalement synchronisé avec le son, c’est plutôt joli ! Ca a pris un petit moment à développer évidemment. Nous avons eu la chance d’avoir une résidence à l’Attenborough Center à Brighton : pendant une semaine, on a pu préparer ce nouveau show et notamment l’aspect visuel. Avoir ces lumières permet d’élargir un peu l’allure du concert, car la structure seule est très verticale. Comme ça, on peut présenter la machine sur une scène, même si Felix préfère que les gens puissent se déplacer autour, s’approcher et l’avoir à leur niveau – mais bien sûr ce n’est pas toujours possible.
Andy : A Electrons Libres, ça sera d’ailleurs possible, en plus de notre concert la machine sera présentée comme une installation. Les gens pourront s’approcher et l’entendre fonctionner de manière 100% acoustique, sans enceinte pour amplifier les sons.
Pendant cette résidence, avez-vous aussi créé des morceaux inédits pour aller avec ce nouveau live, comme pour votre passage en 2014 au Workshop InFiné ?
Andy : On va garder quelques chansons que nous avons écrites aux carrières du Normandoux pour le Workshop InFiné, que nous avons légèrement développées. Cela doit représenter la moitié de notre set, à laquelle nous avons ajouté de nouveaux morceaux.
Quand vous créez de nouveaux morceaux pour cette installation, vous devez partir de la machine pour composer – et non pas partir d’une composition et réfléchir à comment lui donner vie. Est-ce que cela change beaucoup dans votre processus créatif ?
Ed : On a déjà pu composer pour des quartets de cordes ou ce genre de choses, le processus est globalement le même, puisque nous devons travailler avec un groupe restreint d’instruments. Quand je compose de la musique électronique, je peux probablement trouver ou recréer n’importe quel son me plaisant. Il n’y a pas de limite à ce que tu peux créer – ce qui est évidemment l’un des points attractifs de la musique électronique. Mais avec cette machine, nous avons seize instruments à disposition, capable chacun de produire un son en particulier. Ce qui peut paraître comme une énorme limitation, mais c’est finalement sympa et créatif de devoir prendre en compte ce paramètre-là, pour nous qui venons de la musique électronique. Parce que nous ne pensons pas au sound-design, ou à comment créer tel ou tel basse, nous réfléchissons seulement à la meilleure façon de créer de la musique avec ces instruments. L’approche est bien plus musicale, moins technique ; quand tu bidouilles des synthétiseurs, tu passes beaucoup de temps à te demander comment créer tes sonorités. Là, c’est très satisfaisant. Bien sûr, on aime toujours composer de la musique électronique.
Quels sont ces seize instruments ?
Ed : Il y a cinq différents glockenspiels, et tout un tas de machines créées par Felix. Une construite à partir d’une vieille caisse de bières, et globalement beaucoup de percussions composées de différents matériaux et frappées de différentes manières. Chacune a son petit nom : The Apprentice, Tappy, Beer ou encore Acid, cette dernière reproduisant le son d’un moteur électrique, et Spring, qui recrée le son d’un torrent.
Au-delà de ce projet avec Felix’s Machine, quels sont les prochains chantiers pour vous ?
Andy : Felix a la chance d’être parti au Japon, on essaye de voir si on ne peut pas amener la machine là-bas pour des lives. Aussi, on a enregistré le concert, on compte l’envoyer à notre label, Warp, à voir ce qu’ils en pensent – on espère pouvoir sortir un album live. On n’est pas du tout obligé de faire ça contractuellement, donc il faut que l’on en discute avec eux. Aussi, on travaille sur un album studio !
Plaid se produira avec la Felix’s Machine ce 30 mars dans le cadre du festival Electrons Libres au Stereolux à Nantes – ce sera leur seule représentation française du printemps avec cette installation. Retrouvez plus d’infos sur le site du Stereolux. En attendant, on se réécoute « Do Matter », l’un des singles extraits de The Digging Remedy, le dernier album du duo sorti en 2016.