MUTEK.ES 2018 : le festival créatif de Barcelone où vous aimeriez aller
Non, il n’y a pas que les géants Sónar ou Primavera à Barcelone ! Depuis neuf ans, la ville accueille aussi une ramification du fameux MUTEK Montréal, festival de musique électronique (voire presque contemporaine) et de créativité numérique initié en 2000. Un événement qui se distingue dans l’uniformité relative de l’industrie musicale actuelle, tant par sa programmation pointue que par la diversité de ses lieux de rendez-vous. Vous en avez marre des hangars à touristes plein de coups de soleil et line-ups vus et revus ? Ca tombe bien, pas de ça ici. Une initiative pas toujours évidente qu’on ne peut qu’encourager chaudement.
Barcelone à la fin de l’hiver, c’est terriblement agréable. Pas trop de monde, adieu odeurs d’égouts dans les rues. Une période parfaite pour le MUTEK.ES qui est, somme toute, un festival pas vraiment commercial où quelques 7000 personnes déambulent de concerts en concerts dans huit endroits différents, le tout sur quatre jours à des prix très abordables. On relevait même quelques manifestations en entrée libre, comme l’installation interactive MR-808 de l’artiste Moritz Simon Geist (Sonic Robots).
Mercredi 7 mars, on prenait de notre côté le chemin l’Institut Français qui accueillait les premiers artistes. La Française et multi-instrumentiste Cécile Schott aka Colleen y jouait avec le un set-up de son dernier album A Flame My Love, A Frequency (notamment pédale de delay Moog et Septavox de Critter and Guitari qui induisent un petit temps de changement de patches) pour une performance touchante. Le Polonais Waclaw Zimpel, auteur du très inspirant album de musique contemporaine-jazz Lines, clôturait lui la soirée avec un piano préparé, sa clarinette basse et un solo final de flûte d’overtone en bambou. Pointu on vous a dit.
Le lendemain, des cortèges sillonnaient la ville pour la journée internationale des droits des femmes, un jour de lutte qui n’avait pas échappé au festival. Une table ronde autour de la question des femmes dans l’industrie de la musique avait été programmé entre d’autres conférences et talks plus techniques (la lumière générative et la musique algorithmique par exemple). Par ailleurs on avait aussi remarqué le soin des organisateurs à proposer une affiche équilibrée quant à sa répartition hommes-femmes, sans parler d’histoires de quota pour autant.
Quelques tapas et parts de pizzas coulantes plus tard, on enchaînait avec des lives audio-visuels dans la salle de concert Barts. Un style de performance à la croisée des médiums et des genres encore trop minoritaire dans les line-ups, car peut-être difficile à programmer, bien que le rendu sur scène soit captivant. On se rappellera de Three Pieces With Titles, pièce commandée par le MUTEK aux Canadiens Alexandre Burton et Julien Roy qui mélangeaient en direct et de façon assez impressionnante du code, de l’image et du bruit à partir de captations vidéo ! La suite au Laut, petit club qu’on avait pas encore exploré, où on a aimé le live de M.E.S.H., musicien tendance expérimentale qu’on avait principalement suivi sur le label Pan.
Vendredi, rendez-vous à la concession Mazda et son « DIGI LAB », où le maker londonien Graham Dunning proposait un étonnant concert avec un dispositif de son invention composé d’une superposition de vinyles, de vis et de bras. Résultat 100% « techno mécanique » qui résonnait assez bien dans cet espace automobile inattendu. Bon, on n’a pas vraiment compris comment fonctionnait sa machine, même après explications ! On enchaînait ensuite sur une ancienne banque transformée en espace de coworking : « ImaginCafé », un espace peut-être pas assez adapté où 9T Antiope, un duo de Téhéran/Paris, a eu tristement bien du mal à se faire entendre, alors que l’Iranien Siavash Amini parvenait à calmer un peu plus l’auditoire avec ses ambiances dronesques. Décidément, ce vendredi soir, on dirait que tout le monde a des fourmis dans les jambes et une tchatche irrépressible. On a croisé au concert Move D, qui jouera un peu plus tard au Nitsa Club à Nou de la Rambla. D’ailleurs le Nitsa était complètement rempli pour cette première nocturne. Il faut dire que le public était sans doute venu pour ce dernier, ou pour Zip. Ou pour Fred P, qui nous a servi un live magistral. Mais il ne fallait pas oublier l’Anglaise Beatrice Dillon dont on adore les envolées étranges. Dans le fumoir, on a recroisé par hasard Graham Dunning qui nous fera l’éloge de cette grande créatrice…
Le lendemain samedi, force est de constater qu’il y avait deux fois moins de monde dans l’enceinte du Nitsa, la faute peut-être à des noms un peu moins « connus », bien que DJ Python et son pseudo-reggaeton ainsi que Maurice Fulton et sa house good-feeling ne soient pas des moindres selon nous. Et que dire de Olaf Bender aka Byetone (co-fondeur de Raster-Noton) et de Belief Defect. Leurs lives, froids et tranchants, nous ont quand même donné des frissons. Mais peut-être qu’une partie des festivaliers du MUTEK n’était pas sortie en boîte après la journée éprouvante qui s’était déroulée de 14h à 22h30 à l’Estrella Damm, ancienne fabrique de la fameuse bière du même nom. En plus d’une scène dancefloor sur le parking et d’un espace de tests de synthés et logiciels de MAO, on pouvait accéder à une salle carrelée qui faisait son petit effet avec sa scénographie lumineuse. Là, on a pris une claque par Caterina Barbieri et son modulaire, et aussi par l’Allemande Ziúr qui nous a fait vivre une heure plus qu’intense. – « U Feel Anything ? » – OUI ! Mention spéciale pour Bliss Signal aka Mumdance (producteur et DJ underground londonien) et James Kelly (guitariste échappé du groupe Wifes et Altar of Plagues) ! Un duo live formé pour la première fois en octobre dernier à Unsound et une collaboration tellement réussie qu’on espère la revoir bientôt.
Pour avoir discuté avec Pau Cristófol, agent de booking de MUTEK, on s’est vite rendu compte que le festival était tenu à bout de bras par des véritables passionnés et par des directeurs artistiques pleins de convictions. En effet, pas toujours facile de ramener des artistes d’Iran, de faire jouer des projets parfois confidentiels, ou de promouvoir un pan de la musique électronique un peu moins accessible, quoique plus intéressant. Mais quelle satisfaction quand le dimanche au petit matin, on prend la mesure du travail accompli, et des sourires -plus très frais- des participants. Alors, à quand un MUTEK Paris ?