Astropolis Hiver 2018 : look mum un bon festival !
C’est long d’aller à Brest. Le train, fringuant jusqu’à Rennes, se traîne de plus en plus à mesure que l’on approche de la destination : le bout du bout du pays. Et le temps paraît d’autant plus long quand, en cette période de vacances scolaire, il semble y avoir plus d’enfants que d’adultes dans le wagon. Alors, quand on a la patience d’un chaton et que pour nous un Paris-Brest c’est surtout un gâteau, pourquoi s’infliger ces quelques heures de train, qui plus est en plein hiver ? Pas de suspens, c’est la même chose chaque année : l’édition hivernale du festival Astropolis. Et s’il y a bien un cru qui valait vraiment le coup, c’était cet Astro Hiver 2018, que nous avons visité les vendredi 23 et samedi 24 février derniers.
Astropolis, pour ceux qui vivent dans une grotte depuis 23 ans, est un festival dédié aux musiques électroniques. Quasi-exclusivement. Au Vinyl Market de la Passerelle, l’après-midi, ce sont des galettes électroniques qui se vendent (pour pas très cher d’ailleurs). Le premier soir, Charlotte de Witte déroule en closing un set techno, par ailleurs de très bonne facture, et juste avant, c’est DJ Stingray qui enchantera avec sa sélection oldschool sous les impressionnantes structures métalliques et boules à facettes de la Carène. Le lendemain, légende toujours, house cette fois, avec Kerri Chandler tandis que le programme à la Suite était axé sur les labels électroniques bretons. Superbe line-up donc, mais qui n’explique toujours pas pourquoi s’être tapé le long voyage en train vu le nombre de soirées et festivals parisiens proposant quasiment la même formule. La vérité est à chercher ailleurs donc, dans l’Astroboum pour les petits, dans les paillettes du Camion Bazar ou dans les lives par exemple : avec Broken English Club, Legowelt, Kmyle ou Too Smooth Christ, Astro a fait la part belle aux lives machines cette année. Une prise de risque à saluer notamment du côté de Deux Boules Vanille, ce duo de batteurs déclenchant des synthétiseurs analogiques à chaque coup (violent) asséné sur leurs fûts. Résultat : un concert psychédélique, visuellement intéressant et ludique, qu’on ne voit pas tous les week-ends.
On s’éloigne ainsi de plus en plus du « festival-à-DJs », dédié à ces musiques boum-boum faites par ordinateur et qui font peur à nos mamans… Plus bel exemple ? Look Mum No Computer. Tout est dans le nom : ici, pas de Mac brillant dans la nuit mais un set-up composé de synthés modulaires, d’un vélo transformé en machine à faire du bruit, une soupe de câbles et, au milieu de tout ça, un jeune punk en bleu de travail, épingle à nourrice dans l’oreille, cheveux fous et chant filtré. Sur le papier, ça fait peur. En vrai, son live dans la petite salle « Club » de la Carène était sans aucun doute le moment le plus fort du week-end. Car malgré son côté « savant fou qui bidouille des câbles », Look Mum No Computer n’a pas oublié d’être accessible, les parties chantées, avec couplet et refrain, donnant un aspect pop à son électro-punk. Un rack s’occupe par ailleurs de rajouter une foule d’effets à l’ensemble, histoire de ne pas trop nous exploser les tympans avec la multiplication des synthés, et permettant à l’Anglais de lâcher les chevaux de temps en temps, jouant sur les distorsions et dissonances avec finesse. Accessible humainement aussi : en fin de concert, voilà qu’il approche son vélo-synthé du bord de scène, et que plusieurs mains avides commencent à toucher à tous les boutons. Il laisse faire, encadre tout de même, c’est globalement inaudible mais très fun à regarder. C’était le vendredi soir, il n’était même pas deux heures, et on venait de vivre le moment le plus fort du festival, ou quand la musique est à la fois un spectacle et un échange.
Et le lendemain, devinez qui est en train d’animer un atelier aux Capucins, immense espace brestois occupé pour la première fois par Astropolis ? Look Mum No Computer évidemment, sans scène, avec le même impressionnant set-up clignotant, qui se produit en live à deux mètres des plus curieux, enfants, parents et festivaliers en lendemain de soirée mélangés. De quoi se rendre compte d’une drôle de méthode de la part de l’Anglais : pour savoir que faire ensuite pour faire évoluer son morceau et ses boucles, cet inventeur zinzin (il a créé un orgue-furbies, un clavier qui crache du feu, ce fameux vélo-synthé…) prend quelques pas de recul et regarde ses machines, comme le ferait un peintre réalisant une fresque murale. Une approche visuelle peut-être plus que musicale donc, de quoi fasciner un petit auditoire jusqu’à ce que, rebelotte, le synthé-vélo serve à nouveau de laboratoire à grand n’importe quoi.
Le moment idéal pour explorer les Capucins donc, le nouveau terrain de jeu d’Astro l’après-midi. Cet ancien arsenal comprend aujourd’hui une médiathèque, la plateforme d’arrivée du téléphérique traversant la rade de Brest, et de grands espaces vides et aérés où des danseurs s’entraînent, des gosses font du roller et des ados glandent – on aura même vu un tout-petit, savant à peine marcher, balancer sa poussette pour se jeter par terre et imiter les breakdancers. Et au milieu de tout ça, une programmation menée par le collectif Velizion, avec un atelier avec Look Mum No Computer donc, mais aussi des machines mises à disposition, des lives, une conférence ou encore Blutch et Vincent Malassis (aka Vinny Van Malass) qui enseignent le field recordings et la production à des gamins (les cinq morceaux créés vont être sortis et s’offriront un remix par Blutch). A refaire et à faire croître. Un peu comme cette politique défricheuse et bien mesurée entre têtes d’affiche et plages plus exigeantes, qui fait que, chaque année, on ronge notre frein dans un train plein de gosses pour assister à ce festival : à refaire, tous les hivers.
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