Qu’est-ce qu’on écoutera en 2018 ? Le début de réponse se trouvait la semaine dernière à l’Eurosonic
Du 17 au 20 janvier dernier, les salles de concerts et bars de la ville de Groningen au Pays-Bas accueillaient le festival Eurosonic Noorderslag, Eurosonic tout court voire ESNS pour les intimes. Quatre jours de showcases de trente minutes à une heure, pour découvrir des centaines d’artistes émergents européens.
Imaginez une ville froide du nord des Pays-Bas, plus petite et moins majestueuse qu’Amsterdam, quoique plutôt charmante avec ses ruelles pavées et ses grands beffrois. Elle est loin de Paris et ses fumeurs de weed affluant chaque week-end à ‘Dam, ou à Maastrich pour les plus pressés. Et bien trop frisquette pour servir de station balnéaire. Alors, qu’est-ce qui reste à Groningen qui, aussi mignonne soit-elle, aurait bien du mal à attirer des palanqués de touristes européens ? Peut-être ce qui fait le plus bouger toute une partie de la population chaque week-end : des concerts, des bars et des clubs. Ça, y compris dans sa politique culturelle locale, Groningen (ou Groningue, au choix) l’a bien compris : depuis les années 50, seuls les lieux programmant de la musique se voient délivrer une autorisation de nuit. Résultat, une grande partie des bars souhaitant écouler quelques litrons tard le soir ont, quelque part entre les boiseries typiques des pubs du coin, installé une scène. Les groupes locaux fleurissent, les salles de concert proprement dites aussi. Voilà qui nous amène à Eurosonic Noorderslag, ou quand la musique s’empare d’une cinquantaine de lieux à boire, à danser ou à s’émouvoir, dans un tout petit rayon du centre-ville de Groningen. Pendant quatre jours (du 17 au 20 janvier cette année), les programmateurs des festivals y viennent faire leur marché, les bookeurs leurs affaires, les artistes leur promo. Certains viennent même chercher un prix lors des European Breaking Borders Awards, cérémonie présentée par le mythique Jools Holland de la BBC. Les EBBA récompensent les succès européens d’artistes émergents, comme l’Anglaise Alice Merton et son implacable single « No Roots » ou la Suédoise Skott et son show pyrotechnique – côté français, c’est The Blaze qui remportera la statuette.
La mignonne Groningen se transforme ainsi en grand marché au live, personnage principal d’un marathon de concerts. Elle aura eu le droit à tout, ses pavés battus par la grêle, la pluie, une tempête même, tellement violente dans le centre des Pays-Bas que toutes les voies ferrées étaient fermées pendant 24 heures. Et puis, surtout, elle a dû résister aux coups de poings de Lysistrata. Le groupe français (cocorico), gagnant l’année dernière du tremplin Ricard SA Live, n’a absolument pas décidé de faire de concessions sur son rock depuis que les dates de concert se bousculent dans leur agenda. Rageur, sexy, crado, et les murs rouges du Huis de Beurs qui dégoulinent. Mais Eurosonic sait varier les ambiances : cinquante mètres plus loin, c’est une autre coqueluche des médias français qui attend, pour un shot un peu plus innocent. Angèle est seule sur scène, avec son clavier, ses ballades et son petit tube made in Youtube « La Loi de Murphy ». Beaucoup dans la salle attendent les bras croisés, avec l’envie de déterminer si, oui ou non, le buzz autour de « la petite sœur de Roméo Elvis » est justifié. Spoiler alert : oui. Rien ne sert de la comparer à son rappeur de frère, puisque la Belge officie dans un registre totalement pop, avec des chansons le plus souvent en français. Une belle voix parfois éraillée, des textes parlant des petites emmerdes du quotidien, de la jalousie à l’heure des réseaux sociaux, de Bruxelles avec une très belle reprise de Dick Annegarn… Le charme opère, naturellement, et bien insensibles sont ceux qui resteront les bras croisés. Côté charme, les Parisiens de Papooz ne sont pas en reste et jouent, comme d’habitude, à fond la carte des crooners en marinières so french. Ils peuvent se le permettre : accompagnés sur scène d’un bassiste, d’un batteur et d’un violoncelliste-claviériste tous excellents, Armand et Ulysse de Papooz ont su faire planer un air de week-end à Deauville, les doigts de pied en éventail et leur hybride swing-pop-jazz dans le poste de la décapotable… Alors qu’ils faisaient -2 dehors. Les adaptations live des titres de leur premier album Green Juice valent clairement le détour, greffées de solos de guitare aux influences manouches, psyché parfois ou tout simplement pop et efficaces. De quoi avoir « Ann Wants To Dance » ou « Ulysse And The Sea » dans la tête pendant trois semaines, merci les gars.
Mais au delà des implacables Lysistrata, ou des chouchous Angèle et Papooz, Groningen a dû se fader quelques lourdaux ces derniers jours à Eurosonic. On a nommé : ce groupe de quatre Allemands ivres mort et gueulant de tout leur soûl dans la salle du Huis de Beurs (peut-être notre salle préférée de l’hyper-centre), riant de ce qu’il se passait sur scène et lançant des œillades torves aux (jeunes) filles présentes. Rien de bien nouveau dans le monde des festivals, évidemment. Mais le groupe de rustres n’auraient finalement pas pu mieux tomber : sans le savoir, ils assistaient au concert de Zen, collectif queer et féministe croate dénonçant dans ses paroles (en VO) les inégalités de genre dans la musique… Ou les incivilités des casse-pieds suscités. Au delà du message, et parce qu’en toute honnêteté on ne connaît pas un seul mot de croate, c’est surtout la musique de ce trio féminin qui nous marquera : empruntant au post-rock, au shoegaze ou à des univers oniriques à la Sigur Ros, Zen propose un voyage inattendu et psyché, pour un peu qu’on passe au-dessus de l’absence totale de « show ». Mais il semblerait qu’habituellement le groupe s’accompagne de projections vidéo. A revoir avec l’image donc… Et sans relous ! L’avantage d’Eurosonic est aussi là : vu le nombre de professionnels accrédités (plus de 4000) et de festivals représentés (400);
INSERT INTO `wp_posts` VALUES bons nombres des groupes programmés se retrouveront, dans quelques mois, à l’affiche d’événements un peu plus près de chez nous. Parmi les plus plébiscités à la suite de cette édition 2018 ? IAMDDB, Zeal & Ardor, Meute, Superorganism, Jacob Banks, Tamino, Agar Agar, et Altin Gun. A retenir.
On rajouterait bien Surma, femme orchestre voguant en chaussettes entre basse, tambour, synthés et chant pour un live électronique intriguant. Difficile de vraiment accoler une étiquette au projet, appelant parfois aux pogos, parfois aux slows, mais c’est aussi là tout l’intérêt de cette Portugaise aperçue au MaMa cet automne. Les Lyonnais d’Erotic Market, pour leur pop-r’n’b noisy imparable en live. Monolithe Noir, aussi, Français exilé à Bruxelles, magicien noisy, coupable d’un live audio-visuel où la mélodie arrive à cohabiter avec le drone, histoire qu’on veuille se taper la tête contre les murs tout en fredonnant gaiement. Ou, encore dans un tout autre registre, le compositeur et multi-instrumentiste classique Luca d’Alberto, qui fait souffler un petit vent de modernité dans les cordes de son ensemble violon électrique-violoncelle-piano. Un poil rebelle comparé à l’image guindée du classique, l’Italien n’hésite pas, entre deux morceaux, à comparer Groningen à un « gang-bang d’énergie » pendant le festival. On ne sait pas si la petite ville l’aura vécu comme ça, on n’a pas osé lui demander, mais une chose est sûre : on espère que son line-up 2018 fera des petits dans nos festivals français cette année.