LAAKE, ou quand le piano rencontre la techno
Il était une fois un mec, qui donnait un concert à l’Eglise Saint-Bernard à Paris. Il est au piano, une violoncelliste à ses côtés, et enchaîne avec une certaine maestria les morceaux cinématographiques, parfois chantés, agrémentés de quelques beats électroniques. Et là, tout d’un coup, bam bam bam. Un rythme rapide, saturé, typique du hardcore, résonne dans l’église. Pas sûr que le curé ait apprécié que ses vieilles pierres résonnent sous les coups de butoir du bonhomme. Mais ça nous a soufflé. Ce mec, c’est Raphaël Beau, 27 ans, alias LAAKE. Le pianiste-producteur a récemment sorti Piaano, un EP six-titres épatant, sorte de mini-album où les boucles de piano se confrontent à la dureté des machines. Mais attention, on ne parle pas de deux-trois beats posés sur des partitions classiques, pour un mélange eau-huile qui ne prend jamais tout à fait. Non, LAAKE réussit à fondre ses touches d’ivoire dans un bain électronique, sans que jamais les contrastes engendrés ne paraissent forcés. Peut-être parce que le compositeur autodidacte ne vogue pas entre deux univers : il écoute bien plus de musique électronique que de classique. Voire, même, du gabber et du hardcore – d’où le surprenant « Melancholia » balancé dans l’église. Et on n’est pas les seuls à avoir remarqué la techno-piano de LAAKE : le grand pianiste allemand Nils Frahm, fer de lance de cette scène mêlant piano classique et musique électronique, a sélectionné son morceau « Swell » pour sa très suivie playlist « Piano Day » en 2016 – avant de le programmer un an plus tard pour son festival du même nom. Toujours sous le coup de ce hardcore d’église, on a discuté de tout ça avec LAAKE, en attendant de le (re)voir ce soir au FGO-Barbara.
Être sélectionné puis programmé par Nils Frahm, est-ce que c’est un parrainage un peu lourd à porter, une pression supplémentaire ?
Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’un parrainage, car je n’ai jamais été en contact direct avec lui. Mais effectivement, ça m’a aidé à obtenir un peu de visibilité sur mes morceaux, « Swell » en tête. Et il n’y a pas de comparaison entre son travail et le mien : j’utilise beaucoup les beats, les basses, les synthés, etc. Et même si sur cet EP que je viens de sortir, il n’y a quasiment pas de voix, cela fait partie intégrante du projet. Je n’ai donc pas l’impression d’être sur le même créneau que lui, qui est plutôt un pianiste néo-classique. Il utilise des synthés certes, mais il est vraiment puriste, il travaille beaucoup l’émotion, tandis que certains de mes morceaux sont assez techno. Ce n’est pas un artiste qui m’a particulièrement influencé, car je l’ai découvert sur le tard, mais c’est en tout cas quelqu’un que je respecte beaucoup.
Il y a énormément d’albums sortant en ce moment mêlant piano et musiques électroniques. Fabrizio Rat, Grandbrothers, Hauschka, Nils Frahm, toi… Tu te reconnais dans cette scène ? tu écoutes ces artistes ?
Je ne cherche pas forcément à écouter des gens qui font de la musique avec du piano. Je n’ai pas une énorme culture classique, ou contemporaine. Alors oui il y a pas mal de projets en ce moment qui tournent autour de cet instrument, mais chacun a vraiment son identité, personne n’est sur le même créneau. Fabrizio Rat, par exemple, est carrément dans le minimalisme et la répétition.
Tu te rapprocherais plus d’un groupe comme Aufgang par exemple ?
Oui, dans l’énergie notamment. Quand ils sont sur scène ils ont une énergie super rock. Mais on sent qu’ils viennent du conservatoire, c’est très léché, complexe leur musique. Je suis dans quelque chose de moins écrit, de plus instinctif. Il y a beaucoup d’impros dans mes lives. En tout cas, Aufgang en live c’est assez cool !
C’est quelque chose qu’on lit beaucoup à propos de toi : « il n’a pas fait le conservatoire ». Tu le revendiques ?
J’ai envie de montrer qu’on peut faire de la musique complexe sans savoir lire ou écrire une partition. Il n’y a pas forcément besoin de passer par le solfège ! Forcément, il y a des répétitions et du travail derrière. Mais la musique c’est aussi de l’instinct, et ça doit rester un plaisir. Je ne me pose pas trop de questions quand je compose, je fais vraiment ce qu’il me sort des tripes.
Ça ne t’a jamais tenté de prendre des cours ?
J’y ai songé, pour le doigté. Parfois je fais des trucs pas très académiques. Mais j’ai pas envie d’être influencé par des règles, je préfère faire comme je le sens. J’ai eu des groupes de rock avant, j’ai envie de garder ce côté un peu je-m’en-foutiste, en tout cas instinctif.
Justement, quels étaient tes projets avant LAAKE ?
Pendant dix ans j’ai eu des groupes de rock, où je chantais et jouais de la guitare. Il y a eu par exemple un groupe de post-rock, Spinal. Et puis deux projets perso, avec des mélanges de plein d’influence, avec du piano, de la guitare, du metal, de l’electro. Un genre de pot-pourri, et ce n’était pas vraiment digeste (rires). C’était assez confidentiel, j’avais juste un Myspace. LAAKE, c’est un peu l’aboutissement de tous ces projets, en recentrant tout sur le piano, car c’est l’instrument que je préfère.
Et tu te retrouves à poser une rythmique hardcore sur un morceau au piano, « Melancholia« , extrait de ton dernier EP Piaano… Qu’est-ce qu’il t’a pris ?
Je me suis rendu compte que je commençais un peu à m’ennuyer en club avec la house et la techno. Ce que j’aime bien dans le hardcore et dans le gabber, c’est qu’il y a une vraie agression, j’adore ce côté-là, ça défoule. Sur ce morceau, « Melancholia », j’ai voulu mettre en parallèle une mélodie douce et la dureté de la machine derrière. C’est ce genre de contrastes qui m’intéressent.
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Qu’est-ce que tu écoutes en électronique, qui pourrait t’avoir influencé pour LAAKE ?
Ce n’est pas uniquement électronique mais j’aime beaucoup Brandt Brauer Frick, je me sens vraiment influencé par eux, avec ce côté très rythmique, un peu expérimental parfois. Et j’ai beaucoup écouté Jon Hopkins aussi, ses morceaux les plus bourrins, comme son dernier album. Ou Drone Logic de Daniel Avery. Tous ces projets-là m’intéresse beaucoup. Je t’avoue que j’ai pas mal écouté aussi Inutile de fuir de Casual Gabberz, avec ce morceau « Bim Bim » d’Evil Grimace.
C’est étonnant, avec un projet au piano on s’attend à ce que tu nous sortes plutôt Chopin que Casual Gabberz !
Ah ouais non. J’ai très peu de culture dans la musique classique à proprement parlé. J’apprécie mais je n’en écoute jamais pour être honnête. J’aime bien les jeunes projets, aller fouiller pour découvrir des trucs.
Tu as déjà pensé à faire un projet purement techno, sans piano ?
Oui ! J’y réfléchis en ce moment, et je le ferai sûrement, mais sous un autre nom.
Et LAAKE en live, ça ressemble à quoi ?
Il y a trois formules. Une où je suis tout seul, avec un piano numérique et un synthé – un Prophet. Une deuxième formule où je suis sur un piano à queue, ce qui change pas mal la donne, c’est un instrument avec beaucoup d’ampleur. C’est un live assez différent car je mets plus l’accent sur le piano, avec moins d’électro et pas mal d’impro. Et puis il y a une formule avec Juliette Serrad au violoncelle. Je l’ai rencontrée par hasard, c’était une pote de pote. On a pris un créneau dans un studio tous les deux et on a commencé à improviser. Ce qui est génial avec Juliette c’est que je n’ai pas besoin d’écrire de partition, elle comprend rapidement ce que je veux faire, ça nous permet d’improviser également en live. On est en phase, on n’a pas forcément besoin de parler.
Que prévois-tu dans les mois à venir ?
Je suis en train de composer un album. J’ai envie de faire un disque symphonique, avec des cordes et des cuivres, tout en gardant le côté boum-boum ! Pour l’instant, je compose tout avec des samples de violon, ou de violoncelle, pour ensuite enregistrer avec un vrai orchestre.
Tu n’as pas peur de perdre le côté « dans ta face » de ta musique en y amenant un orchestre ?
Non je ne pense pas que ce soit incompatible. Dans ce genre de projet, le risque est de tomber dans la formule « un DJ qu’on catapulte à côté d’un orchestre ». Le DJ balance ses boucles et l’orchestre fait sa partie. J’ai au contraire envie d’intégrer l’orchestre dans la composition, et si à un moment il n’y a pas de beat ce n’est pas grave du tout. Je ne veux pas perdre le côté entraînant et techno, rester inattendu. C’est ambitieux, j’en ai conscience, ça va être une sacrée galère mais j’ai envie d’essayer ! Et j’ai envie de montrer qu’on peut faire de la musique symphonique sans passer par le conservatoire – je vais être obligé de travailler avec un chef d’orchestre bien sûr, pour mettre les partitions au propre, mais je vais tout composer moi-même.
LAAKE fêtera ce soir la sortie de Piaano au FGO-Barbara, à Paris. Toutes les infos sur l’event Facebook du concert.