Ambient au Palais de Tokyo, techno à Montreuil… Un week-end au Red Bull Music Academy Festival
Cette année, alors que Red Bull Music Academy monte pour la deuxième fois son festival parisien, on a été particulièrement alléché par une programmation remplie de choix forts. Notamment pour le coup de lancement de ce week-end marathon avec une soirée sobrement intitulée « Pleine Conscience » et prévue dans le ventre obscur du Palais de Tokyo. Les directeurs artistiques du groupe visent juste en proposant une soirée « ambient », terme un peu fourre-tout qui englobe par extension le drone, l’expérimentale, les performances lives inclassables, bref le type de soirée où l’on n’est pas sommé de danser et qui connaît un regain d’intérêt significatif en Europe – on pense tout particulièrement à Berlin Atonal, la Mecque du genre.
C’est d’ailleurs à ce même festival allemand que l’on a vu pour la première fois Pan Daijing, la Chinoise expatriée à Berlin qui nous avait bluffé avec le live de son album Lack (Pan), où elle avait fait participer une chanteuse lyrique. Ce n’était pas le cas ce soir, et ça enlevait un sacré quelque-chose. On a donc descendu les escaliers métalliques qui nous amenaient au sous-sol du Palais de Tokyo pour entendre la productrice avec un voile noir orné de perles rompre le silence de la salle bétonnée. Sol gris et décoration par les Lyonnais de Trafik, néons blancs, minimaliste. Les festivaliers commencent à affluer alors que Pan Daijing joue avec les filtres, et inonde la scène de sa voix passée dans une bonne dose d’effets. Du parlé, quelques lamentations, la fin sur un cri strident. On a trouvé le tout beaucoup moins substantiel que prévu.
Prurient aka Dominick Fernow aka Vatican Shadow fait son entrée. Lui aussi grand adepte du micro bien crade fait déferler ses salves bruiteuses sur les auditeurs. Abrasif. Le genre de moment où l’on se surprend à se perdre dans les méandres de son esprit malade. Dominik a appelé son label Hospital Production, et maintenant tout de suite, ça fait sens.
Après une petite pause humide, puis un concours de « chut » qui fait rage dans la salle, Midori Takada fait résonner son gong. La moitié de la salle est maintenant assise ou allongée à même le sol. (Où sont les coussins, les chaises, les bancs, les poufs ?? C’est cruel pour ce genre d’événement). La Japonaise, une des pionnières de l’ambient, diffuse des petites prières ou textes puis joue quelques notes de xylophone. Percussionniste de formation, on lui doit un des plus beaux albums du genre, Through The Looking Glass (1983), réédité il y a peu après être tombé dans un incompréhensible oubli spatio-temporel. Le public est attentif, Midori exaltée, elle virevolte entre ses deux caisses claires telle un samouraï. Pas de doute, c’est elle, le clou de la soirée.
A côté, Gas paraîtrait presque convenu. Mais les nappes presque aquatiques de Wolfgang Voigt font leur petit effet. Les visuels de forêt sursaturés dans le fond aussi. Quelques personnes se sont endormies sur le sol froid. Ils ne verront sans doute pas Tim Hecker, et d’ailleurs on ne le voit pas trop non plus, avec sa scénographie pleine de fumée. Caché dans le brouillard, il nous propose ses paysages sonores, et c’est beaucoup plus mélodieux que ce qu’on s’était imaginé, dans la lignée semble-t-il de son dernier album Love Streams. On a fermé les yeux et on s’est laissé partir.
Rien de tel qu’une bonne thérapie ambient collective pour commencer le week-end.
Pour la suite, le lendemain, il faudra se rendre à Montreuil. Réunissant quelques uns des spots les plus prisés de la nuit alternative ces dernières années, la ville a cumulé un capital contre-culturel que RBMA a souhaité embrasser et unifier en installant la dernière soirée de son festival dans la fameuse ville de proche banlieue. L’idée donne lieu à un parcours urbain façon « nuit blanche » en taille réduite, une forme ambitieuse pour une soirée musicale dont la programmation cherche en parallèle à connecter des sensibilités et des cultures très lointaines.
La soirée s’ouvre sur une poignée de propositions assez pointues, du moins pour les quelques curieux qui ont goûté au concert/performance de la chanteuse de Stereolab, Laetitia Sadier, entourée du duo Nova Materia, dans la salle Maria Casarès du Nouveau Théâtre de Montreuil. Leur création Du Point De Vue Des Pierres tourne autour des recherches du jeune philosophe Tristan Garcia, qui cherche à penser le monde en dehors du rapport que l’homme entretient avec celui-ci. C’est donc ici la vie intérieure supposée des pierres qui est évoquée dans ses textes, l’un fourni sur papier en préambule, et l’autre délicatement narré par Sadier, touche par touche, durant le concert. Musicalement, Nova Materia forment une belle lame de fond, de l’ambient bruitiste qui ne force pas le trait et ne cherche pas à faire peur, même quand ils déplacent un rocher sur un sol sonorisé. Bien dosé entre son, texte et concept, le projet trouve le ton qu’il faut pour ne pas sonner prétentieux, et ouvre l’appétit.
La curiosité est maintenue par Voiski, posé derrière un bureau avec un ordinateur et un catalogue de photos, dans le sous-sol de la Marbrerie, comme dans une agence de voyage souterraine. Des hauts parleurs douchent les visiteurs avec son dernier album, entièrement composé dans des avions, pendant qu’un diaporama enchaine des paysages presque déserts, glanés à travers le monde au fil de ses tournées. Bien plus peuplées sont les photos de Jacob Khrist, insatiable mitrailleur de la teuf parisienne qui a composé une installation vidéo immersive et sonorisée sur le modèle du silent disco. En évitant le racolage ou le glamour facile lié à un tel sujet, ses clichés captent les énergies et la beauté fragile d’une faune jeune et livrée à elle-même, et se passeraient même des textes qui leurs sont collés.
Peu de traces pourtant de la fougue et la sauvagerie de cette faune au Chinois, où Endless Boogie laboure un bon vieux garage rock qui colle au plancher, ni à la soirée caribéenne, qui peine à décoller. Cette dernière a lieu à la Parole Errante, lieu fortement engagé politiquement et guère adapté, nous dit un habitué du lieu, à des soirées sponsorisées. Le Guadeloupéen Gerard Pomer et son groupe de percus jouent donc devant un parterre pour le moins clairsemé – le cosmopolitisme des gouts du festivalier moyen a peut-être été surestimé. Plus tard, le set rafraichissant de DJ Nomad trouvera néanmoins son petit public grâce à un mélange de crudités afro, zouk ou disco tropicale, dont un sur deux sonne comme un inédit du Tom Tom Club.
Inaccessible car saturée depuis l’heure de pointe nocturne (ce qui explique peut-être l’injection de public à la Parole Errante…), la Marbrerie est désormais une étuve, et la musique n’y importe plus vraiment. On l’entend d’ailleurs à peine tant le son est bas, et l’électro-tech sèche et rugueuse des Italiens de Not Waving, tout comme le back to back entre AZF et Tomas More, frappent dans le vide. Les danseurs s’en foutent, ils suent et s’acharnent, et c’est eux qui font le sel et la dignité de cette fin de soirée boiteuse.
Estelle Morfin et Thomas Corlin