Scopitone : silence, on fabrique le futur
Le festival nantais assoit encore un peu plus sa position de festival de « cultures digitales », qui fait danser les kids la nuit et s’émerveiller les parents le jour. Et surtout, il semble encore avoir des choses à dire à l’heure du tout-dancefloor.
Soyons honnêtes avec nous-mêmes : il n’y a pas pire événement que celui qui se prend pour plus intelligent qu’il ne l’est vraiment. Et à ce petit jeu là, il y a ceux qui en font des caisses en jouant la carte du multi-expérientiel, des « performances immersives » et de la sur-utilisation du mot « art » pour bien faire comprendre qu’on n’est pas des sauvages. Le sentiment dégagé est trop souvent celui d’un mépris envers la culture techno, qui n’a pas besoin d’être enjolivée par quoi que ce soit pour rayonner (ou pas, en fonction des soubresauts de la vie). Et Scopitone dans tout ça ? C’est évidemment plus compliqué.
Déjà, le festival nantais a participé à la renaissance et au rayonnement de la richesse culturelle de sa ville, aujourd’hui saturée de trucs cool à faire, voir, vivre. Aussi, les « cultures digitales » et les questionnements qu’elles amènent sur l’Art en général ont toujours été de la partie là-bas, même au moment où la musique électronique se tournait les pouces dans les années 2000. Reste à voir si, en 2017, cette institution événementielle française réussit à faire avancer un schmilblick qui a parfois besoin d’un coup de pied aux fesses à force de mordre la queue du parachute.
00h30, au cœur des Nefs, ces gigantesques halles ouvertes sur l’île de Nantes, désormais immense lieu de déambulation accueillant autant le Stereolux que les Machines de l’Île qui ont refait une partie de la réputation de Nantes. Jeremy Underground ayant rangé les sueurs froides du #Saunagate dans les dossiers classés, il déroule un set de house assez efficace devant un dancefloor immense, délimité par des murs amovibles anti-bruit. On se rappelle tous de l’essai de silent disco géant quelques éditions auparavant, ludique mais angoissant en termes de partage humain. Ici, ça passe, cela nous rappelle cependant que la ville change à vitesse grand V : il y a 10 ans, il y avait moins d’immeubles à basse empreinte carbone aux alentours, donc moins de voisins ouverts d’esprit mais pas trop quand même quand il s’agit d’accepter 100dB pendant deux jours. Plus globalement, on s’entend parler dans ce festival… On ne va pas s’en plaindre, même si parfois, il est bon de se laisser noyer dans le son. Les clubbers, eux, s’en moquent et ils ont bien raison : la faune des « Nuits Électro » de Scopitone est plus jeune, hédoniste et fofolle que jamais, à l’image du public d’un Panoramas ou d’un Nördik Impakt. Ce qui expliquera leur enthousiasme total devant le faiseur de tubes tech-house Joris Delacroix, pas forcément aussi intense devant le set pourtant assez parfait du prof Roman Flügel. Que la personne qui pense que l’on est devenu des vieux cons nous jette la première pierre.
À côté, dans le cœur du Stereolux, nous avons eu un coup de cœur pour la candeur technique et pour les choix musicaux d’une future grande de la techno : Avalon Emerson a le type d’oreille parfait pour représenter avec brio l’ouverture mélodique et l’envie d’expérimenter d’une partie de la nouvelle génération techno, qui respecte l’héritage des grands textes du genre tout en les remettant intelligemment en question. La techno alambiquée de Demian Licht et la classe d’un grand Pantha du Prince finissent de parfaire les à-côtés d’une soirée dédiée à la teuf, dont l’un des autres grands patrons sera François X, jamais déconnant dans ses choix et toujours sévère cadenasseur de dancefloor. Ce qui nous rassure ? Toutes les propositions, des plus fédératrices aux moins évidentes, n’ont pas désempli. Ce qui nous inquiète, à la marge ? On a oscillé entre 123 et 134 BPM, quasiment toujours sur du binaire (merci Aufgang pour casser la moyenne).
#Scopitone 2017, résumé. pic.twitter.com/pqXI1JqPxQ
— Mathias Riquier (@PencilKz) 24 septembre 2017
De ces cohortes de zébulons, on en a retrouvé davantage aux « Goûtez Électronique » calés en bord de Loire dimanche après-midi qu’à chacune des files d’attente devant les œuvres d’art digital disséminées un peu partout dans Nantes, aux lieux désormais habituels (du Lieu Unique au Jardin des plantes en passant par la Tour Fer à Cheval du château des Ducs de Bretagne). Preuve que le public de Scopitone, en plus d’être hétérogène, est surtout dual. À ce petit jeu, « Narcisse V.2 » de Nonotak et les différentes œuvres de Samuel St-Aubin au Passage Sainte-Croix ont réussi à poser de bonnes questions, ou à nous fournir de bonnes sensations. Parce que le futur de l’Art se passe par le digital, mais peut-être pas uniquement par une vision trop technophile du futur, c’est toujours cool de constater que l’ère des uniques néons et des stroboscopes calés sur de la musique mentale, c’est (presque) fini. Reste à voir ce qu’on voulait réellement voir en ce week-end nantais : un maître du post-rock orchestral (Valgeir Sigurdsson), un as de la viole (Liam Byrne) et un génie de l’audiovisuel, Yannick Jacquet du collectif AntiVJ. On a plané complet, on a évité les concepts pour rien, juste des gens doués qui créent du beau ensemble.
Alors bon, on avoue qu’on a raté la soirée qui nous excitait peut-être le plus, la faute à la vie de bureau : le jeudi soir, Scopitone essaime dans tous les lieux de vie à taille humaine de Nantes, avec une programmation-flipper assez enthousiasmante (UVB76, You Man, Faire, Autarkic…). Avec ce tableau complet, nous aurions pu juger de la diversité d’un festival qui s’échine à ne jamais sombrer dans la facilité, et c’est toujours ça qui impressionne. Reste l’unanimisme techno, à l’oeuvre aujourd’hui un peu partout, et qu’on ne saurait dénigrer, parce qu’il porte une vitalité qui fait plaisir à voir. On reviendra, mais on n’avait pas trop de doutes là-dessus.
Meilleur moment : entendre une gamine dire « je veux faire ça quand je serai grande » en voyant une œuvre d’art numérique de Myriam Bleau.
Pire moment : constater que la bulle de sociabilité de nos camarades de dancefloor devient très aléatoire passée une certaine heure.