Bicep : les musclés
Article extrait de Tsugi 105, disponible en kiosque jusque début octobre ou à commander ici.
Dix ans après la création de leur blog culte, suivi d’une série de maxis salués par tous, les deux Britanniques passent enfin au long format. L’occasion d’explorer de nouveaux territoires au-delà de la house qui a fait leur réputation.
Souvenir nostalgique d’une matinée du début de juillet dernier alors que la pluie de fin août martèle les carreaux, en rythme avec la frappe sur notre clavier. L’été est là, et on peut encore se permettre la joie d’une interview dans le patio ensoleillé d’un hôtel du IXe arrondissement de Paris autour d’une assiette de croissants, sur laquelle Matt McBriar et Andy Ferguson, alias Bicep, se jettent avec une belle vigueur. Ils se complètent : le premier est blond, plutôt bavard, le second est brun, plutôt discret. Les deux sont charmants avec leur accent nord-irlandais qui semble s’être définitivement enroué du côté des brumes humides de Belfast, leur ville natale, où ils se sont rencontrés à l’âge de huit ans en jouant au rugby. Bien plus tard au collège, au temps des premières raves, leur goût pour la musique électronique s’affirme. Matt : « À l’époque, j’étais fan de Prodigy, Metallica, du punk, de la trance, mais ma copine m’a offert le premier EP d’Aphex Twin, Analogue Bubblebath. C’était la première fois que j’écoutais quelque chose qui ne venait pas d’une major. Je n’avais jamais entendu cela auparavant. Je me le suis passé en boucle. Ce disque m’a fait aimer les sons analogiques, même si cela n’était pas très bien produit. L’autre moment déterminant, c’est à la même période lorsque j’ai mis pour la première fois les pieds au Shine, le club techno de Belfast. L’énergie était dingue, j’y allais chaque semaine pour voir Dave Clarke, Underground Resistance ou Laurent Garnier. » Andy : « J’avais seize ans, je jouais dans des groupes et tout le monde me disait d’aller dans ce club. En réalité, c’était assez effrayant parce que le public était beaucoup plus âgé et avec des comportements, euh, disons… assez extrêmes. (rires) Mais je me rappelle avoir entendu ‘Crispy Bacon’ sur ce soundsystem qui te secouait les tripes et c’était dément ! »
TU LE SENS MON BICEP ?
Paradoxalement, c’est lorsque leurs routes se séparent pour suivre des études dans des universités différentes que les deux compères entament leur collaboration musicale en se réunissant virtuellement sur la toile pour créer leur blog Feel My Bicep en 2008. De vrais enfants 3.0. FMB, c’est l’occasion de publier leurs découvertes et raretés dans une large palette de styles allant de la synth music en passant par l’italo-disco, la soul, le funk, et bien entendu la house. Miracle des Internets, leur petite entreprise de brillants trainspotters se fait tout de suite remarquer. Mieux, cela leur met le pied à l’étrier pour se lancer dans la production avec un maxi justement nommé EP1 sorti en 2010 chez Throne Of Blood, label new-yorkais aujourd’hui en semi-sommeil créé par James Friedman et The Rapture. Une première oeuvre toujours conçue à distance, puisque McBriar, qui est graphiste, travaille à Dubaï, alors que Ferguson bosse dans l’informatique à Londres. On trouve dans ces deux titres ce qui va devenir la marque de fabrique du duo : gimmicks accrocheurs, sons chaleureux inspirés par la house et la techno des 90’s. Ce coup d’essai salué alors par la critique va pousser Bicep à se produire en DJ-set. Et pas qu’un peu, puisqu’ils se sont fait une spécialité de jouer en format « all night long », une formule dans laquelle le duo peut exprimer au mieux ses goûts larges en matière de musiques électroniques. Du coup, ils ont pris leur temps pour réaliser le magnifique Bicep, leur premier album, joyau électronique de cette rentrée. Matt : « Si nous avions sorti ce disque il y a trois ans, cela n’aurait été que de la musique de club. Or c’est bien de produire des singles dancefloor, mais c’est important de sortir des albums plus expérimentaux où on peut montrer le large spectre de ce que nous faisons. Bicep est avant tout très égoïste, on l’a d’abord fait pour nous. » Andy : « C’est la première fois où l’on travaille sur des tracks en les considérant comme de vraies chansons. Si tu penses à sortir uniquement des singles pour être joués en playlists sur Spotify ou Apple Music, ça ne me semble pas très gratifiant comme procédé. Après le dernier EP que l’on a sorti il y a deux ans, je crois que l’on était mûr pour l’album. »
Si vous êtes plutôt Spotify :
LE SON DE LA DRUM
On confirme. Même si Bicep déroutera sans doute à la première écoute ceux qui s’attendaient à une suite de hits house hédonistes, à la « Vision Of Love », leur plus gros succès. Mais ceux qui, tout comme nous, ont préféré « Just », leur maxi de 2015, retrouveront ici le même minimalisme efficace et intriguant, jamais ennuyeux sur la longueur. Car c’est un vrai album qu’ils nous offrent, pas une simple suite de DJ-tools. Et puis on avoue aussi qu’en tant que vétéran, on a frissonné de plaisir en écoutant « Opal » ou « Glue », dont les rythmiques sont autant de clins d’oeil à la drum’n’bass old-school soulissime de la fin des nineties, façon Omni Trio ou Alex Reece. Matt : « Ça, c’est vraiment l’influence londonienne. À Belfast lorsque nous étions ados, on n’entendait qu’une version commerciale de la drum’n’bass, à notre arrivée à Londres, on a pris ces sons en pleine gueule. » Andy : « Je me souviens dans ma voiture, il n’y avait qu’un seul CD : la compilation Logical Progression de LTJ Bukem et chez moi, j’adorais les maxis de Metalheadz, le label de Goldie. Donc tous ces souvenirs ont rejailli dans le disque, mais on ne l’a pas fait de manière délibérée, c’était juste notre envie du moment. » Une envie qui a séduit l’écurie Ninja Tune où ils ont signé pour ce premier album éponyme. Vingt-sept ans après sa création par un autre duo, Jon Moore et Matt Black, alias Coldcut, le label londonien est en train de vivre ses meilleures années suite aux sorties des albums de Bonobo, Actress, Romare ou Machinedrum. Et aujourd’hui Bicep.