Yoga, ambient et bains de gong : hors du monde dans l’Experiment Intrinsic
Début août en plein cœur de la Dordogne, dans le splendide Parc Joséphine Baker de Castelnaud-la-Chapelle, se déroulait un petit festival pas comme les autres… On nous avait promis de l’ambient, et du yoga, des activités. C’était beaucoup plus que ça. Peut-être était-ce à cause de la pleine lune, en tout cas l’Experiment Intrinsic, pour sa première édition, nous a laissé dans la bouche un goût mystique, et tout simplement unique.
Dernier jour de l’Experiment Intrinsic, set de fin, la grande cérémonie est close. Deux ou trois applaudissements s’envolent dans la nuit claire. Ce n’est pas que la prestation était nulle, loin de là. En fait, tout le monde dort paisiblement sur les poufs du dancefloor. C’est vraiment sur cette image inattendue, à la toute fin de ce festival un peu spécial, qu’il fallait commencer. Parce que c’est à cet instant précis qu’on a saisi le concept de l’évènement dans sa globalité, et qu’on a pu l’estimer à sa juste valeur. Et croyez-le, c’était un sacré truc.
Le lendemain matin, Nathalia Petkova a les traits tirés, mais la joie émane de son visage. Assise dans l’herbe, elle regarde la rivière filer. Sa main couverte de motifs tatoués tient entre ses doigts une cigarette roulée éteinte. La pression retombe. Sacs empaquetés pour le départ, des gens viennent la serrer dans leurs bras. C’est elle qui a tout orchestré. Un travail fou malgré une équipe d’une trentaine de bénévoles, des détails minutieux. Bulgare d’origine, installée à Londres, Nathalia y organise depuis quelques années des soirées ambient avec mapping. Mais cette année, elle a tenté le format festival, quatre jours. Elle a imaginé un festival intimiste et immersif mêlant musique orientée ambient, mapping vidéo, et ateliers liés au bien-être personnel, au yoga et à la méditation. Ni danse, ni kicks envahissants. Coussins, douceur et contemplation. Viens avec ta petite laine si tu veux. Tolérance zéro contre les drogues, exit les relous sous speed. Comble de la chance, malgré une météo qui s’annonçait mauvaise, le festival est passé entre les gouttes. Nathalia est reconnaissante. « Je n’aurais pas eu la possibilité de faire tout ça sans le soutien de l’univers[…] Avant de venir, j’avais un gros arbre en dessous de ma fenêtre, et j’ai demandé à l‘univers de m’aider. » Vœu exaucé.
Nathalia nous explique encore qu’on lui a fait visiter deux ou trois lieux, dont celui-ci. Un endroit clairement magique, sous un château, fourni d’arbres. Au dos du programme de l’Intrinsic, imprimé sur du beau papier, on peut lire une citation de R. Murray Shafer, qui a conceptualisé le paysage sonore. Tout s’explique. Nathalia confirme : « J’avais déjà parlé d’organiser des évènements comme celui-là, mais quand j’ai vu le terrain, je me suis dit que ce n’était pas le lieu pour de la dance music, ni pour de la techno, ni pour une rave. C’est comme ça que le projet est né. » Le fait est que le nouveau propriétaire du lieu, aussi discret qu’admirateur de Josephine Baker, souhaite faire du Parc une pépinière d’artistes, de talents, permettre des concerts ou des manifestations alternatives. Et si Nathalia et lui ont perdu pas mal d’argent, puisque seuls 200 festivaliers sont venus – loin des 400 attendus pour être au seuil de rentabilité -, ils sont quand même heureux que l’Intrinsic ait eu lieu.
Un mal pour un bien, cette petite jauge a formé une sorte de communauté inattendue. Est-ce que c’est ça, être neo-hippie ? Dans le petit camping, on s’échange les saladiers, les sacs de couchage. On va se baigner dans l’eau froide avant de faire bouillir le café sur le réchaud. Tous les jours, on peut participer à des cours et activités différentes. Ce n’est pas obligatoire, mais ça fait partie de l’expérience globale. Il y a d’abord le yoga, avec ses déclinaisons Kundalini ou Vinyasa Flow, avec des professeures adorables. Même nos amis les plus raides ou totalement inexpérimentés ont testé. On y est allé à fond, on a eu des petites courbatures. Il y a aussi des séances de relaxation à deux dans la piscine sous l’œil bienveillant de Laurelene, qui a développé sa propre pratique de bien-être. Sans oublier des ateliers inhabituels, comme celui de la voix, ou celui « eye gazing » où l’on doit soutenir le regard de son partenaire pendant près de dix minutes. Exploration de soi et de l’autre, intense. Il paraît que certains fondent en larmes. On a aussi mangé du cacao pur lors de la « cérémonie du cacao », grosso modo une sorte de soft ayahuasca avec une chamane dédiée. Personnellement, on a surtout eu un peu mal au ventre. Mais ce qui nous a transporté, c’était les bains de gong, et les bols chantants. Allongés au sol, en état de profonde relaxation, tout le monde a les yeux clos. Lani frappe le disque métallique avec sa mailloche. Les vibrations du gong déferlent sur les corps inertes, comme de vraies vagues. Nos poils se dressent. Les harmoniques sont pures et résonnent quelque part dans l’immensité de notre existence. Quarante minutes au bord de la transe, une limpide jouissance sonique. C’est inexplicable, il FAUT essayer. Entre deux, sur une petite scène faite de mousse, de rochers et de bois entrelacés et installée sous un saule pleureur, se succèdent les DJs de l’après-midi. Un mot d’ordre : détente. Pas de house, pas de techno, pas de micro, pas de summer soupe. On a adoré Gwenan, Melina Serser qui nous a passé quelques pépites trip/hip-hop, Vlada qui avait sorti quelques plaques dub et reggae, Andrew James Gustav et ses selectae pointues, Orphee… On a découvert des sons africains, iraniens, le tout en dégustant sirotant une bière dans un verre en bois fait main et des petits plats et tartinades de la cuisine vegan-friendly du festival.
Moult relaxations. Des Aum plein la tête. Nouveaux adeptes de la tranquillité et de la suavité, fin prêts pour la liturgie nocturne. Dans le « music hall », sont installés les têtes d’affiches du festival. On voulait voir CHI Factory depuis un moment. Le collectif d’ambient collector, fondé en 1984, a été un des premiers groupes à faire des lives de ce style sur scène. Il y avait aussi le compositeur émérite Roedelius et Christopher Chaplin au piano, pour la partie un peu plus intello. Respect à ces anciens du genre. On a par contre loupé SME pour une petite galère –Dieu sait que les pharmacies de garde en pleine Dordogne un dimanche soir ce n’est pas évident.
A 22 heures, tout le monde est déjà sur son petit coussin. Les visuels sont mappés sur le mur d’une petite maison, derrière la scène. Non contente d’avoir booké ces beaux noms, Nathalia nous avait prévu un programme surprenant pour la nuit. Des DJs qui n’ont pas l’habitude de jouer de l’ambient/expé se prêtaient à l’exercice pour l’occasion. Nicolas Lutz par exemple. Nathalia a senti qu’il était dans ce mood lors d’une soirée à Fabric. Un jour, elle lui a proposé, il a dit oui. Ou encore le Roumain Praslea. Ou Andrew James Gustav. Et Shcaa en live. On était très très loin du Sunwaves, croyez-nous. Ceux qui comptaient sur eux pour passer quelques beats ont vite déchanté. Mais c’était si bon. Ceux qui étaient plus accoutumés à ce style de set, qu’on a découvert pour la plupart, méritent largement qu’on les mentionne : Gyorgy Ono, le talentueux E/Tape ou la plus sombre Baby Vulture qui nous ont fait bien voyager. Surtout, le duo qu’on était par-dessus tout venu applaudir ne nous a pas déçu : Jan Jelinek et Masayoshi Fujita en direct. Le mariage délicat du modulaire de l’un avec le vibraphone de l’autre. Quelle subtilité. La nuit est alors presque blanche, la pleine lune au zénith, les deux virtuoses arrêtent le temps. Les visuels d’Acca et Cote sont alors ultra minimalistes. Ils gonflent, deviennent complètement psychédéliques lors de l’arrivée de Nathalia aux platines. En guise d’introduction, on a droit à un bain de gong. Version géante. Le magma humain s’unit en une seule énergie, vibre d’une même voix. De la sauge, de l’encens et des résines exotiques brûlent aux quatre coins de la zone. Le rituel bat son plein. Les constellations brillent intensément. L’énergie est spéciale. Les sons deviennent les mantras de l’instant. C’est sans doute ça l’Intrisic, une expérience mystique entre 200 personnes consentantes.