L’interview éco-friendly de Christian Allex, programmateur du Cabaret Vert
Au nom tiré d’un poème de l’enfant prodige des Ardennes, Arthur Rimbaud, le Cabaret Vert revient pour sa 13ème édition du 24 au 27 août prochain à Charleville-Mézières. Le festival, à l’origine très rock, propose aujourd’hui une programmation riche et éclectique digne des plus grands. Entre têtes d’affiches et groupes locaux on aura la chance d’assister aux concerts de Korn, Justice, Flume, Cypress Hill, Franz Ferdinand, The Kills, Cashmere Cat, Panda Dub ou encore des très prometteurs The Lemon Twigs, Chronixx, Grindi Mandberg et ALB pour ne citer qu’eux ! Mais initialement, le premier intérêt du festival n’était pas la musique, nous explique son directeur artistique, Christian Allex. Le développement durable et le savoir-faire ardennais sont, depuis la première édition, l’essence du Cabaret Vert. Cette année, on pourra aussi bien se perdre dans un marché de producteurs locaux, dans un village IDéal (place centrale des échanges et conférences sur le développement durable), que de participer à un « hackathon » (marathon de hackers), rencontrer des auteurs de BD ou encore se poser devant des courts-métrages. Le Cabaret Vert s’annonce comme une expérience à part entière. On a posé quelques questions à Christian Allex, directeur artistique du festival mais aussi programmateur des Eurockéennes de Belfort et du Paloma à Nîmes.
Comment as-tu rejoint l’équipe du Cabaret Vert?
Christian Allex : C’était en 2009 sur une sorte de malentendu. À l’époque j’essayais de monter un projet avec l’école de marionnettes de Charleville-Mézières pour les Eurockéennes. Je voulais mélanger marionnettes et musique et on m’a demandé de rencontrer l’adjoint à la culture de l’époque qui était Julien Sauvage. Et quand je l’ai rencontré, il m’a parlé du Cabaret Vert vu qu’il en était aussi le directeur. Je suis donc allé à ce fameux festival et j’ai trouvé la dynamique sympa, le site sympa, les gens sympas, j’ai trouvé qu’il se dégageait quelque chose de très humain de cet évènement. J’ai eu envie de leur donner un coup de main et puis c’est parti comme ça, de coup de main à aujourd’hui direction artistique.
Le développement durable tient une place centrale au sein du festival, comment devient-on un festival vraiment « vert »?
Ça l’était dès le début. Ce n’était même pas un festival de musique au début. À la différence d’autres festivals qui se montent pour mettre des artistes sur scène devant un maximum de monde, eux, ce n’était pas leur premier intérêt. Ce qu’ils voulaient, c’était de rendre compte du potentiel vert des Ardennes, et montrer qu’il y avait de l’énergie, de la jeunesse et la possibilité de développer un tourisme vert dans la région. Le schéma du destin fatal du jeune qui part faire sa vie soit à Reims soit à Paris ou à Lille est classique. Ils voulaient montrer que ce n’était pas inéluctable et qu’il y avait possibilité de rester et de faire des choses. Dès le début, ils ont voulu créer un évènement qui montre qu’il y a une empreinte écologique importante à respecter quand un festival, sorte de ville éphémère, se crée. Il y avait aussi la possibilité, via les circuits courts de production locale, de créer une sorte d’auto-suffisance de qualité, que ce soit pour la nourriture, la bière mais aussi pour le bois. C’était vraiment le point d’orgue du festival. Et après, en arrivant, j’ai ramené l’exigence musicale. Aujourd’hui, ils regardent tous les autres festivals, qui se construisent autour de l’empreinte verte et du côté « green », avec un peu de méfiance car cela peut être fait par opportunisme, alors que eux l’ont fait d’entrée.
On sait qu’il est difficile de moraliser un public de festivaliers, comment sensibilisez-vous le vôtre? Qu’est-ce qui marche le mieux? Et le moins bien?
Ce qui marche le mieux, clairement, c’est la propreté du site. Avant, en temps réel et après le festival. Le public est hyper respectueux de la démarche de voir beaucoup de bénévoles avec des sacs poubelles en train de ramasser leurs crottes toute la journée. Les gens sont très responsables en tout cas. Les toilettes sèches c’est pareil, elles sont tout le temps propres. C’est pourtant difficile avec 20 à 25 000 personnes par jour d’avoir une offre de toilettes sèches propres. Beaucoup de gros festival vont sur la toilette chimique car beaucoup plus pratique à gérer sur des grosses masses de public. Au final ça se passe bien, et c’est super bien accueilli par le public. Je trouve qu’on est aussi très performant sur le circuit court. L’offre de nourriture, l’offre de bières, le tri des déchets, toute cette mécanique-là est vraiment « clean ». On est peut-être un peu moins bon sur l’empreinte écologique. C’est-à- dire, après le Cabaret Vert, qu’est-ce qu’il reste sur Charleville à l’année en terme d’actions et de développement durable ? Il y a déjà le Garage Solidaire, la récupération des huiles de frite pour en faire du carburant qui est menée par une autre association. Mais on peut faire plus et montrer que le Cabaret Vert peut laisser une empreinte écologique à l’année avec, par exemple, la création d’associations ou de sociétés autour des énergies vertes. Nous allons aussi accentuer la végétalisation du site. L’idée est de créer des brigades vertes, qui au fur et à mesure de l’année, réaménageraient le site en y montant des décors végétaux. Parallèlement, on réfléchit également à une future utilisation du bambou, végétal propre qui enlève la saleté des sols, en partenariat avec une association qui en importe. Et dernier point que l’on peut largement améliorer, c’est le camping. Parce que les gens sont responsables sur le site, mais quand ils rentrent au camping, là, ils ne le sont plus du tout.
Est-ce que vous sensibilisez aussi les artistes invités au développement durable?
Dans les loges oui, d’abord sur le tri, les déchets. Ensuite à la place de bières industrielles, ils ont des bières locales, pas de Coca-Cola, mais plutôt un Coca local etc. On impose au catering de se servir chez des producteurs locaux. Et on a avec nous M. Jean Perrissin, LE monsieur développement durable du festival, qui lui, s’associe avec une autre personne et, tous les jours, nous sort des chiffres. Du coup Monsieur Chiffre nous renseigne sur les consommations inutiles d’eau et d’électricité pour que l’on en ait conscience dans tous les secteurs, et que l’on responsabilise nos équipes en conséquence.
J’ai aussi entendu dire que vous n’aviez pas d’éco-cups, alors que la plupart des autres festivals qui se veulent « green » en proposent, pourquoi?
Parce que c’est une utilisation d’eau inutile. De notre côté, le gobelet est jeté puis trié sur place dans la foulée avant d’être évacué dans une usine de traitement où il sera recyclé. Lors d’un festival, il est rare qu’une personne garde son éco-cup sur toute la durée. Généralement, il y a un roulement de gobelets. Quand tu reviens au bar, ton verre est mis de côté et on t’en refile un nouveau tout propre. Celui qui est mis de côté va être nettoyé dans une machine qui pompe énormément d’eau. Ceci dit on refait des études chaque année sur la pertinence (ou pas) de l’éco-cup.
On peut voir le festival grandir et innover chaque année tant sur l’aspect « green » que sur les activités, le village ou encore les différentes scènes. Où allez-vous puiser ces idées?
Déjà, on se balade pas mal. Mais pas seulement dans des festivals. Il y a une semaine j’étais au Musée Guggenheim à Bilbao et la manière dont le musée communique m’a donné des idées. Comment peut-on adapter ce modèle sur de la communication de festival? C’est l’inspiration générale de tous les jours. Après il y a un gros collectif d’une centaine de bénévoles qui se réunissent toute l’année autour du projet du festival. Ces gens-là alimentent le cerveau du Cabaret Vert. Ce ne sont pas des professionnels du métier, mais ils n’ont pas un regard formaté comme des spécialistes peuvent avoir. Et comme ils ne savent pas trop ce qu’il se passe ailleurs, ils amènent des idées qui correspondent à leurs envies. La seule vigilance à avoir c’est que ça ne devienne pas un « gloubi boulga » de trop d’idées, un peu indigeste, que l’on arriverait pas trop à cerner.
Il faut qu’il y ait un fil rouge qui dirige tout ça et c’est ça qui rend le festival humain et complètement local d’un côté…
Oui, c’est mon travail en tant que directeur artistique d’essayer de cadrer et de garder l’essentiel de leurs idées, et d’éviter que l’on ait une crise d’épilepsie en rentrant dans le festival à cause d’un trop plein d’informations que le public ne comprendrait pas.
Est-ce que tu peux me parler des nouveautés de cette année ?
La première nouveauté, c’est l’usine « la Macérienne », au centre du festival qui a été en partie détruite et réaménagée. On va gagner pas mal de place et cela va nous permettre de réfléchir à un projet sur les prochaines années pour ce gros site industriel. Il y a aussi ce qu’on appelle le Bayard Square Garden qui est un square aux abords de la grande scène qu’on a commencé à réaménager l’année dernière avec une équipe de décorateurs de l’opéra de Dijon et que l’on continue à améliorer et à peaufiner. Le Chapiteau aux images, un cinéma ambulant, change d’endroit et s’installe dans un gymnase juste à côté. L’association va pouvoir réaménager l’offre de courts métrages en fonction de ce nouveau spot. L’emplacement initial du Chapiteau va être utilisé pour créer un vrai lieu de vie et d’échange : un marché de producteurs locaux. C’est à dire des gens qui vendent des produits bruts, à l’inverse des produits transformés genre sandwiches et pizzas, que les gens pourront acheter et consommer sur place. Autre nouveauté, le Temps des cerises, lieu entre bar et piste de danse, qui est un peu le dub corner du festival depuis des années. On va le transformer sur le thème du « temps des dancefloors » dont l’idée est de repartir sur un revival de la musique « qui danse », de la bossa à la disco underground, en passant par des vieux sons soul-funk, hip-hop old school un peu comme ce qu’on a pu voir dans la série The Get Down.
Le festival Le Cabaret Vert, du 24 au 27 août, à Charleville-Mézières. Retrouvez toutes les informations sur leur site.