Ark, un punk assagi
Il y a une vingtaine d’années, au côté des Daft Punk, Laurent Garnier et autres Cassius, il y avait Ark. Loin de la French Touch et de la reconnaissance mondiale de certains de ses anciens copains, le producteur a choisi depuis plus de vingt ans de creuser toujours plus profond le sillon de l’underground, d’exploiter le créneau de l’autodérision et de l’anticonformisme, quitte à être parfois perçu comme un punk de la musique électronique. Entier, Guillaume Berroyer de son vrai nom (le fils de Jackie !) régale les adeptes d’électronique sinueuse et difficile à classer, empruntant aussi bien à la microhouse qu’à la techno et même au hip-hop comme sur son nouvel EP Cinemark, à paraître sur Telegraph Records le 10 septembre. C’est à cette occasion qu’on a discuté avec ce personnage atypique, sincère et depuis quelques mois papa, en attendant la release party du 1er septembre dans le chouette resto/club parisien À La Folie.
Ton nouvel EP s’appelle Cinemark, encore un jeu de mot, on peut même dire que tu es un spécialiste (Alleluyark, Arkuarium sont deux bons exemples, ndlr). Tu n’as pas peur d’arriver à court d’idées après plus de vingt ans de productions ?
Avec Ark il y a beaucoup de possibilités (rires). J’ai tendance à me dire qu’il ne faut pas trop insister sur les blagues et d’ailleurs pour celui-ci il n’y avait pas une envie particulière de refaire un énième jeu de mot. C’est une copine à moi qui a fait la pochette sous forme de collage à propos du cinéma donc l’idée du titre Cinemark est venu en la voyant. A la base, l’EP devait s’appeler « Calèche » comme l’un des trois titres du maxi.
Il y a d’autres sorties à toi qui font référence au cinéma : L’Empire d’Essence, Les Révoltés du Booty, Arkpocalypse Now… Il y a des liens avec ces films ou c’est juste pour le délire ?
Il n’y a pas de lien, ce sont juste des jeux de mots qui me viennent en tête. L’origine de tous ces calembours c’est ma jeunesse avec mon père Jackie Berroyer qui travaillait chez Hara Kiri, Charlie Hebdo, tout ça. J’ai baigné dans cet univers rempli d’humour un peu décalé et j’en ai joué par la suite.
Ça ne te dérange pas d’être souvent vu comme le fils de Jackie Berroyer ? Certains artistes n’aiment pas forcément qu’on fasse des liens avec leur famille ou leur vie privée.
Je suis plutôt fier de ce que fait mon père et ce qu’il m’a apporté, notamment l’amour de la musique et de l’art en général donc ça ne me dérange pas, je me suis nourri de ses bouquins, ses disques, ses passions, il m’a emmené très jeune dans beaucoup de concerts. Par contre, je ne l’ai jamais mis en avant personnellement, je n’ai pas le sentiment d’avoir été considéré comme « fils de » d’une façon appuyée. Ça revient régulièrement, des petites remarques ou des clins d’oeil mais c’est toujours bienveillant. Rien à voir avec Guillaume Depardieu par exemple, c’était pesant pour lui selon moi, il y avait une relation père/fils marquée. Et puis mon père ça reste quelqu’un de pas trop public, discret, à part quand il était à Canal + dans les années 90 et qu’il passait à la télé, il n’a jamais été un personnage très médiatique.
C’est marrant, tu as dit que ton père était à la fois reconnu dans le milieu tout en restant assez discret. C’est peu ou prou la même chose pour toi. Il y a ce côté punk en vous.
Carrément, même si j’ai pu par moment être frustré, à vouloir que ça marche mieux. Quand on a commencé notre duo Trankilou avec Pepe Bradock en 1995, on avait les portes ouvertes pour faire un gros truc et puis finalement on est parti à l’opposé de ce qu’on aurait dû faire pour que ça marche vraiment. Avec le recul, je crois que ça a a été une démarche sciemment voulue, je ne suis pas certain que j’aurais apprécié d’être une personne médiatique. Des mecs comme Daft Punk ont joué la super carte avec le coup des masques et des robots : avoir une reconnaissance mondiale et pouvoir aller manger n’importe où sans qu’on les reconnaisse, mais tu ne peux pas faire dix fois le coup des robots (rires). Le seul regret, c’est plutôt de l’angoisse car je n’ai pas très bien géré l’aspect financier et arrivé à l’âge que j’ai aujourd’hui j’ai parfois quelques moments de stress. Mais au niveau du parcours artistique c’est assez proche de ce que j’imaginais.
Et tu arrives encore aujourd’hui à vivre de ta musique malgré ces coups de stress ?
Oui, j’ai commencé à en vivre avec les deux premières années de Trankilou autour de 1995, on avait pas mal de dates et je n’ai jamais arrêté depuis. La seule période de creux c’était à la fin des années 80, quand j’ai arrêté les études. Je n’avais que 16 ans donc les premières années c’était compliqué, je me suis fait aider, j’ai enchaîné les petits boulots mais sinon ça va. Évidemment je n’ai jamais roulé sur l’or mais j’ai toujours pu payer mon loyer, manger, faire la fête. J’ai même acquis avec le temps du matériel et puis en 2008 j’ai tout perdu à cause d’un incendie. Depuis, je n’ai plus de studio comme tu peux en avoir chez certains mecs du milieu qui ont des installations impressionnantes. Aujourd’hui j’ai seulement deux ordis, des samplers à la pelle mais la moitié ne marchent plus, une petite table de mixage, un clavier… Mais tant que je continue à faire des dates et sortir de la musique ça va, c’est un mode de vie au jour le jour.
Tu sembles quand même plus « sérieux » depuis quelques années, la naissance de ton fils a joué un rôle dans ce changement ?
Certainement. Je ne suis plus tout seul, j’ai d’autres responsabilités et donc moins de temps pour faire de la musique, parfois je ne dors pas beaucoup. Mais j’arrive à m’en sortir, j’ai huit maxis qui sortent à la rentrée. Par contre ça m’a donné une énergie et une positivité dans la vie, c’est mon premier enfant, j’ai 45 ans donc c’était le moment il ne fallait pas trop traîner. Et puis la rentrée approche, il va y avoir des places en crèche qui vont se libérer (le fils d’Ark a bientôt deux ans, ndlr) mais c’est vrai qu’en ce moment c’est un peu compliqué.
Tu peux en dire un peu plus sur ces futures sorties hormis Cinemark ?
Il y a Ark’s Road sur le label italien Sulfate Records, Bacchus sur Ark Records, un label que j’ai créé l’année dernière, un autre sur une maison de disques portugaise qui s’appelle Bloop Records. Il y a aussi En Ruines sur Karat, avec un titre original et trois remixes, c’est la première fois que je fais ça et c’était plutôt cool… Et quelques autres encore qui devraient tous arriver avant la fin de l’année.
Tu es passionné de hip-hop, c’est bien un sample de Kendrick Lamar que tu as utilisé dans le morceau « Way Of Heaven » (l’un des trois titres de Cinemark, ndlr) ?
Tout à fait.
T’as pensé quoi de son dernier album ?
J’ai adoré, c’est un des rares mecs que j’ai écouté récemment. J’ai lâché le hip-hop à la fin des années 90, toutes les années 2000 je suis passé à côté et je ne suis pas du tout intéressé par ce qu’il se fait aujourd’hui, l’autotune, le rap moderne, etc… Il doit forcément exister des trucs biens mais je ne m’y intéresse pas. Par contre du milieu des années 80 jusqu’à 2000 j’étais à fond dedans. J’ai fait pas mal de voyages à Los Angeles en 87/88 à l’époque où les gros groupes sont sortis. Beastie Boys, Run-DMC, NWA, j’ai baigné dans l’explosion du truc et ça m’a bien traumatisé dans le bon sens du terme. Quand c’est devenu le rap fait par des mecs qui sont dans la culture « racaille » ça m’a saoulé et je m’en suis détaché petit à petit, ça m’intéressait moins. Mais avec des mecs comme Kendrick Lamar j’ai retrouvé un état d’esprit, dans son dernier album il y a à la fois le moderne et un retour 15 ou 20 ans en arrière.
Tu insistes beaucoup dans d’autres interviews sur l’autonomie que permet la musique électronique par rapport au rock par exemple. Pourtant tu as collaboré avec plein de gens comme Cabanne (à écouter ci-dessous, ndlr), Pepe Bradock, ton frère Pit Spector…
Je n’ai rien contre la collaboration, j’adore ça et cela peut donner de très belles choses. C’est plutôt que j’ai été déçu quand j’étais jeune, je jouais dans des groupes et je croyais qu’on pourrait aller loin, aboutir à quelque chose de solide et au dernier moment tu te sépares pour des conneries, tu repars à zéro, etc… Avec la musique électronique, tu n’es pas dépendant d’une formation et des problèmes que cela peut générer mais j’ai réellement apprécié toutes les collaborations, j’ai passé des moments géniaux, noué des relations humaines fortes…
En DJ-set tu proposes un véritable show, tu montes sur la table, c’est un beau bordel. Pour la release party de Cinemark tu seras en live, tu arrives à garder cette même énergie ? Forcément, le live demande plus de concentration qu’un DJ-set non ?
Au contraire, je suis plus fou quand je fais des lives (rires) ! Je suis passé par plein d’étapes dans mes lives en 20 ans. Il y a eu des guitares, des claviers, des samplers, des machines… Mais aujourd’hui le gros du truc est pré-écrit donc ça me permet de faire le foufou. Je rajoute des choses en live évidemment mais je ne suis plus dans la logique de l’homme orchestre. Pendant toute une période je créais les morceaux sur scène et c’était assez intense sur le moment mais à la ré-écoute c’était inaudible ou décevant. Petit à petit j’ai choisi de mettre en avant la qualité du résultat, avec l’idée que je représente ma musique. Je n’en ai rien à faire de jouer de la boîte à rythmes sur scène et de tourner des boutons, ça ne m’excite pas particulièrement, surtout seul. Le plus important c’est de diffuser une musique de qualité, que les gens entendent du mieux possible mes créations. Il y aura toujours des mauvaises langues pour dire que ce n’est pas du vrai live, que je suis un feignant, mais ils oublient souvent tout le travail en amont pour arriver au résultat du live.
Retrouvez Ark à la release party du 1er septembre pour son EP Cinemark. Rendez-vous À La Folie, en plein coeur du Parc de la Villette à Paris.