Rap anglais, Mad Max et marionnettes : la mayennaise a pris Au Foin de la rue
« Éthique et éclectique ». Le slogan du festival Au Foin de la rue a le mérite de la rime. Mais si les mots paraissent transparents, il faut aller faire un tour du côté de Saint-Denis-De-Gastines pour comprendre leur application concrète. Organisé depuis 2000, le festival a peu à peu acquis sa renommée locale et fait désormais figure de rendez-vous immanquable annuel pour nombre de Mayennais. En pénétrant sur le site, on s’imprègne rapidement de l’esprit du festival. Inspiré par Mad Max et entièrement faite maison à partir de matériaux de récupération, la décoration surprend et émerveille. Des vieux robots confectionnés à l’aide de tiges ou de boulons en métal, des vieilles roues, des carcasses de voiture, ou un squelette au guidon d’un vélo volant : on fait irruption dans un univers digne d’un roman de Jules Verne. Rajoutons à cela les produits bio et locaux, la gestion poussée des déchets, la sensibilisation effectuée par les 1100 bénévoles, et l’important dispositif d’accueil pour les personnes handicapées (cette année cinq concerts étaient traduits en langage des signes par le collectif Les Mains Balladeuses) et on comprend l’importance du mot éthique.
Pour ce qui est de l’éclectisme, le terme n’est pas non plus galvaudé. Du reggae à l’électro, en passant par le rap, le funk ou la salsa, tout le spectre musical était largement balayé. Accueillis sur les rythmes latinos de LA-33, on se dirige vers la petite scène du chapiteau. Pour le premier soir, les organisateurs avaient décidé d’y tenir une soirée spéciale rap anglais afin de mettre un coup de projecteur sur la scène d’outre-Manche tandis que nos regards sont souvent braqués outre-Atlantique. On démarre avec Ocean Wisdom dont l’album Chaos 93’ avait retenu notre attention l’an dernier. Depuis le succès du clip de « Walkin’ » il y a trois ans, le jeune homme a pris en muscle mais n’a rien perdu de sa souplesse au micro. Pas évident d’ouvrir une soirée devant un public encore décimé, surtout lorsque l’on a l’habitude de jouer devant des milliers de personnes au pays. Le résident de Brighton parvient toutefois à élargir son audience en enchaînant les fast flows sur des productions grime ou boom-bap scratchées. Autres artistes, autre style, le groupe Sud-londonien 67 prend place sur scène après un warm-up assuré par leur DJ qui surchauffe la foule avec les bangers de Stormzy, Migos, Future ou XXX Tentacion. Un peu à l’étroit sur scène, les quatre rappeurs déversent leurs rimes sur des basses à retourner le ventre et des mélodies au piano installant une ambiance funèbre. Derniers représentants du rap anglais de la soirée, Foreign Beggars débarque quelques minutes seulement après leur arrivée en Mayenne. Mélangeant rap et dubstep, leur formule survitaminée fait rapidement effet sur un public du chapiteau qui se fait remplir son verre de vodka par les deux MCs avant de se le faire renverser dans les pogos. Un show intense que ni le public, ni les rappeurs, ne voulaient voir se terminer. Entre-temps on avait assisté au concert de Wax Tailor sur la grande scène. Accompagnés de ses musiciens et de la chanteuse Charlotte Savary, il est aussi assisté des rappeurs Mattic, et Raashan Ahmad – dont on avait un peu perdu la trace depuis son album Ceremony en 2013 – qui s’invite pour un hommage au défunt rappeur d’A Tribe Called Quest Phife Dawg. Une prestation scénique qui a semble-t-il enchanté un public mayennais ravi d’entendre les nouvelles productions ou les vieux tubes du tailleur de cire, de « Positively Inclined » à « Que Sera« .
Samedi pas le temps de buller au soleil, les organisateurs ont concocté un programme bien rempli. Au menu de l’après-midi : spectacles et jeux au bord de l’étang. Des activités gratuites accentuant le côté familial d’un festival ne se contentant pas de faire venir 16 000 festivaliers dans un village de 1500 habitants le temps d’un week-end de débauche, mais qui inclut dans sa démarche la population et le tissu associatif local. Une preuve parmi d’autres : les arbres entourant l’étang sont habillés d’une laine tricotée par les résidents d’une maison de retraite du coin. Le soir, bien accueillis sur leur campement par des jeunes locaux, on traîne un peu avant d’entrer sur le site mais on arrive juste à temps pour la performance de Kate Tempest. Si la veille l’un des organisateurs nous confiait appréhender l’accueil du public face à l’univers singulier de la rappeuse anglaise (décidément !), il a sans doute été rapidement rassuré. On pouvait comprendre ses craintes : les longues phases de spoken word a capella, l’accent mis sur le story-telling et les textes revendicatifs auraient pu repousser un public francophone non averti. Il n’en a rien été. La Londonienne est parvenu à envoûter tout le public par son charisme et son interprétation habitée sur des productions d’une étonnante musicalité jouées par un batteur et deux claviéristes. Puis direction la Grande Scène pour y voir Deluxe. Depuis leur EP Polishing Peanuts il y a 5 ans déjà, les Aixois n’ont pas modifié les ingrédients de leur potion de soul et de funk qui ravit les Dionysiens Gastinais du soir (le gentilé de Saint-Denis-de-Gastines). Rien de révolutionnaire certes, mais efficace. Mention spéciale tout de même pour la reprise de « Stronger Than Me » d’Amy Winehouse. Eux non plus n’ont pas changé d’un poil de papier mâché mais on prend plaisir à les retrouver : les marionnettes allemandes de Puppetmastaz. Leur musique qui reprend et singe les codes du rap n’est pas sans intérêt sur disque, mais prend toute sa dimension en live ! Un show à mi-chemin entre le concert hip-hop et le spectacle de marionnettes en guise de happy-end à notre week-end mayennais.
Meilleur moment : La poésie révoltée de Kate Tempest. Conscient mais loin d’être chiant.
Pire moment : Rhume des foins et Foin de la rue ne font pas bon ménage.