Soulwax, toujours plus fou
La dernière fois que l’on a rencontré Stephen (l’aîné) et David (le cadet) Dewaele, ils venaient d’imaginer plus d’une dizaine de groupes différents pour la bande originale du film Belgica. Un an plus tard, ils font renaître sur disque (treize ans après Any Minute Now) leur groupe Soulwax. Et bien entendu, comme toujours, ce retour ne pouvait que s’accompagner d’un nouveau concept furieux. From Deewee (du nom de leur label) a donc été enregistré d’une seule traite dans leur studio de Gand. Un vrai concert (pas d’intervalles entre les morceaux), mais sans public. Si l’on croise dans ce savant mille feuilles sonores de multiples clins d’oeil au jazz, au krautrock, à la coldwave ou à la disco, From Deewee semble n’appartenir à aucune époque. Et sûrement pas à la nôtre. Tant mieux. Explications avec les deux frangins.
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Après Radio Soulwax, la bande originale du film Belgica, vous nous avez encore inventé un nouveau concept fou, vous pouvez nous l’expliquer ?
Stephen : On a besoin de ces sortes de dogmes, sinon on n’arriverait jamais au bout de ce que l’on fait. Cette fois-ci, nous voulions enregistrer un album en direct, en une seule prise en compagnie de sept personnes, dont trois batteurs, dans le même espace, à savoir notre studio à Gand où nous savons que l’on travaille vraiment vite.
David : Avant d’enregistrer, on a quand même répété pendant deux semaines pour que tout soit parfait. Puis en deux jours, on a joué dix-huit fois l’album en entier et sans transition entre les morceaux. On a gardé la dix-huitième prise alors que l’on pensait que c’était la dix-septième la meilleure !
Stephen : C’était difficile pour les trois batteurs. Car hormis un titre où les batteurs jouent la même chose, sur le reste du disque on a découpé les beats en trois parties jouées séparément, mais qui à l’oreille deviennent une seule partie. Quand tu ne sais pas que c’est trois batteurs, tu te dis juste : “ah oui c’est beaucoup de percussions, ils ont dû l’enregistrer en plusieurs fois”.
Dave : Mais pour les batteurs, c’était très cool. Normalement quand ils enregistrent un album, c’est comme les acteurs dans un film de Woody Allen, on leur donne uniquement que ce qu’ils doivent faire, ils ne voient pas la grande histoire. Avec nous, ils étaient dans la grande histoire, ils ont joué live pendant toute la durée de l’album et ils ont adoré. Pour eux, c’était beaucoup plus intéressant et valorisant.
Tous ces projets que vous menez de manière indépendante, c’est un peu une démarche “antisystème” pour reprendre une expression à la mode…
Stephen : Ça a toujours été une bataille entre nous et le système. Mais cet album, nous l’avons fait dans notre monde puis aujourd’hui on revient dans le système en travaillant avec une maison de disques. Nous ne sommes plus habitués.
David : Depuis treize ans, nous étions dans notre bulle. Mais cela fait vingt ans que nous avons un contrat avec PIAS pour Soulwax et nous leur devions encore un disque. Ce sera celui-ci.
Stephen : Si on repense au parcours que l’on a fait avec PIAS, c’est assez incroyable. C’est bizarre pour nous, parce que l’on ne connaît quasiment plus personne chez PIAS, mais d’un autre côté je ne vois pas trop de maison de disques meilleure que celle-là.
Est-ce que ce disque aurait pu exister sans votre nouveau label Deewee et votre nouveau studio ?
David : Il est complètement le produit de ces deux aventures. C’est pour cela que nous l’avons appelé From Deewee. On a toujours évolué dans une sorte de bulle, mais jamais autant qu’avec cet album. Sur les disques précédents, il y avait toujours une équipe impliquée avec un directeur artistique, des gens du label….
Stephen : On travaillait aussi toujours avec des producteurs comme Floyd, Dave Sardy. Après l’album Any Minute Now, je crois que Floyd nous a dit : “maintenant vous pouvez tout faire vous-mêmes”.
David : Pour cet album, même notre management n’avait rien entendu avant qu’on ne l’envoie au mastering. Les seuls qui savaient, c’était les sept personnes qui ont joué sur l’album et les trois personnes qui travaillent avec nous dans le studio.
Cet album donne l’impression d’une partie de ping-pong entre les machines et les batteries avec Stephen au chant qui ferait l’arbitre…
David : Même si on faisait un album de folk, du moment que l’on entend sa voix on se dit que c’est Soulwax.
Stephen (en riant) : Alors ça veut dire que si je pars c’est fini ? Ça me donne un peu de pouvoir pour dire non maintenant !
David : Plus sérieusement, c’est pour cela que l’on a appelé la tournée du nom du morceau “Transient Program For Drums And Machinery”. Ça définit un peu le projet.
Je trouve qu’il y a une certaine mélancolie dans ce disque…
Dave (surpris) : Ah peut-être que c’est dû au fait que lorsque l’on compose ce sont les accords mineurs qui nous plaisent le plus.
Stephen : Oui, je n’ai jamais aimé “Ob-La-Di Ob-La-Da” des Beatles. Dans la musique brésilienne que l’on aime comme Caetano Veloso, il y a toujours de la mélancolie. Ce n’est pas de la tristesse, c’est juste un esprit que j’aime dans la musique.
Aujourd’hui, tout le monde sonne “groovy”, mais From Deewee penche lui plus du côté “métallique” aussi bien dans la production que dans le visuel…
Stephen : J’ai été interviewé hier par un journaliste japonais qui a trouvé que le son de l’album était comme le bruit d’une aiguille en chrome qui entrerait dans un vinyle…
David : Le fait que tu dis que le son n’est pas comme tout le monde, c’est déjà un compliment.
Stephen : C’est la différence avec la musique qui n’est pas enregistrée live. C’est trop pensé. On essaie toujours de refaire les prises, de rajouter des subbasses. De temps en temps c’est super, mais nous ce que l’on voulait capter, c’est le son de sept personnes dans un espace avec trois batteries. Cet album est un jeu entre nos interactions. Il y a des fautes, mais c’est humain, même si ça sonne chrome….
Qu’est-ce qui vous satisfait le plus dans cet album ?
David : Ça sonne comme un disque que personne n’aurait pu faire, à part nous dans cette situation, je suis fier de ça.
Stephen : J’ai vraiment envie de continuer des projets avec les personnes qui ont joué sur le disque. C’est pour cela que je suis très excité par nos prochains live.
David : L’an dernier, on a déjà joué sur des festivals comme Rock en Seine où les gens ne savaient pas ce que l’on faisait puisqu’il y avait beaucoup d’inédits. On a essayé des trucs qui nous ont servi ensuite pour l’album. Ce qui est intéressant c’est de voir maintenant l’évolution de ces morceaux en live. C’est peut-être ce qui me rend le plus heureux que cet album nous ait ouvert de nouvelles perspectives.
Est ce qu’il y a des tensions entre vous deux ?
David : Sur le plan personnel, nous sommes tellement différents. Pourtant dès qu’il s’agit de création, personne n’a besoin de faire des concessions, on s’entend toujours très bien. Avec le temps, il n’y a plus de questions d’ego, c’est l’idée qui compte. On se rend compte qu’autour de nous, ce n’est pas toujours le cas des autres artistes…
Stephen : Quand on lance ces projets un peu fous, on ne se dit jamais entre nous: mais non c’est impossible ! Nous ne sommes jamais dans la tension donc c’est très efficace.
Comment vous voyez votre public ? Vous pensez qu’il vous suit entre vos différents projets ?
Stephen : Ce qui me semble bizarre, c’est qu’ils sont devenus de plus en plus jeunes. L’autre jour, on a joué à Los Angeles en tant que 2 Many Dj’s et les mecs venaient me voir en me disant : “c’est super, votre label Deewee, j’ai toutes les sorties”. Mais ils ne savaient pas que nous faisions aussi Soulwax. Mais l’inverse est également vrai, certains ne savent pas que nous sommes aussi 2 Many DJ’s. Ça correspond à la manière dont nous sommes perçus aujourd’hui. D’autres artistes pourraient paniquer devant ces réflexions, mais pas nous.
David : Cela fait plus de dix ans que nous n’avons pas fait d’album, donc même les fans vont se demander ce qu’est Soulwax aujourd’hui. Radio Soulwax ? L’application ? Les remixes ? Les tournées ?
Stephen : Tout ça est une histoire étrange. Tiens la semaine dernière, nous étions à San Francisco, et Igor Cavalera qui joue de la batterie sur notre disque faisait un concert de Sepultura avec son frère. Nous sommes allés les voir et on s’est retrouvés avec Dave, tous les deux en costards au milieu de fans de métal déchaînés. Je regardais Igor en me disant que c’était le même qui faisait de la musique électronique avec nous. Ça m’a paru étrange : mais comment est-ce que l’on arrive à faire cela ?