Dégustation à l’aveugle : on a fait jouer Jeremy Underground au blindtest
DJ ultra-demandé (jusqu’à en délaisser son label), défenseur d’une house old-school et soulful façon New York nineties, le digger Jeremy Underground se prête pour nous à l’exercice du blindtest.
DJ Deep feat. Olivier Portal – « Inner Peace »
Extrait du maxi « Inner Peace »
Deep, c’était le messager de la house de New York à Paris dans les années 90. C’est grâce à ses émissions sur Radio Nova que j’ai découvert la house à dix ans, il a changé ma vie. Ça a été une révélation pour moi, pendant que le reste du pays craquait pour la french touch. Peu de temps après avoir découvert Nova, j’ai demandé à ma mère de m’y emmener, j’ai croisé Jean-François Bizot, puis Deep à qui j’ai demandé un autographe. Vingt ans après, j’ai précieusement conservé cet autographe signé sur un papier cartonné Nova.
Arnaud Rebotini – « Pagan Dance Move »
Extrait de l’EP Pagan Dance Moves.
(il peine)
C’est Arnaud Rebotini, on dit qu’il fait partie de ta légende.
Ce n’est pas du tout mon truc musicalement. Mais après ma découverte de Nova, ma mère m’a emmené chez Rough Trade à Paris, j’ai demandé un disque de deep house et un mec, Rebotini, m’a refilé une compile du label de Chicago Guidance.
Quand es-tu devenu un vrai digger ?
À quinze ans, je me suis mis à économiser pour acheter une deuxième platine et plus de vinyles. Cette passion a toujours été là, mais ce sont des drames dans ma vie qui ont rendu ma relation à la musique totalement obsessionnelle (ses deux parents sont décédés quand il avait 15 et 20 ans, ndr), c’était devenu ma seule source de plaisir, la seule chose qui amenait de la dopamine à mon cerveau. À partir de 2002, c’est devenu toute ma vie. Sans ces drames, je ne serais jamais devenu DJ.
Tu es toujours digger ?
Mon point de vue sur le vinyle a changé ces dernières années. Au début de mon label My Love Is Underground en 2010, je le poussais à fond. En 2016, le vinyle est à la mode, j’ai l’impression d’avoir fait ma part du boulot. Aujourd’hui, je passe essentiellement par le Net.
Motor City Drum Ensemble – « Send A Prayer Pt. 2 »
Extrait du maxi Send A Prayer.
MCDE est un excellent producteur et un bon pote. On a toujours suivi ce que faisait l’autre, mais on ne s’est rencontrés qu’en 2014 à une soirée. Depuis on s’entend à merveille. On a joué pas mal en b2b et aujourd’hui il vit à Paris, moi toujours à Brie-Sur Marne.
À propos de ville, pendant un moment, on t’appelait Jeremy Underground Paris.
Mon pseudo a toujours été une catastrophe ! Je n’ai jamais brainstormé, au début je m’appelais même Underground Paris, c’était le nom de mon MySpace.
Le b2b c’est ton truc ? Ça change de la vie très solitaire du DJ, non ?
Ça dépend avec qui. La vie du DJ sur la route est très solitaire, mais je n’ai jamais été Eddie Barclay, je n’ai jamais eu une vie sociale épatante. Donc ça ne m’a jamais choqué. Être en duo change en effet un peu de la routine.
Glenn Underground – « House Music Will Never Die »
Extrait du maxi « House Music Will Never Die ».
C’est lui qui m’a inspiré mon nom. Un des plus grands producteurs de house et pourtant très sous-estimé, il n’a notamment jamais vraiment percé comme DJ et je crois qu’il est dans un délire religieux un peu étrange. Je l’ai croisé en septembre en Grèce à un festival, mais il ne joue quasiment jamais.
Avant d’être DJ, tu étais patron de label.
Ça a été ma carte de visite. Le label a été vite remarqué, parce qu’il était loin de ce qui sortait à l’époque, avec ce son très New York. Donc on a fini par me demander de jouer ces disques en club, je m’entraînais un peu chez moi, mais je n’avais jamais été obsédé par le deejaying ou par les enchaînements. Pour moi, c’est les disques et rien que les disques. La première fois, c’était à Paris en novembre 2010 à une soirée Mona, je faisais un peu n’importe quoi. Mais j’ai vu que ça plaisait, j’ai eu l’impression de m’exprimer enfin, ma vie a pris un sens.
Kerri Chandler – « Super Lover »
Extrait du maxi Super Lover.
Un vieux Kerri, c’est mon grand manitou. Sur l’autre face de mon autographe de Deep, j’ai eu un autographe de Kerri Chandler en 2003, la première fois que je suis sorti en boîte. Il est rarement mis en avant dans l’histoire de la house parce qu’il ne fait pas partie des pionniers, mais ça reste mon préféré. Et il se trouve qu’il est adorable, je l’ai croisé des dizaines de fois ado, on a maintenu une bonne relation depuis, dès qu’on lui montre un peu d’amour, il le rend. C’est une référence musicalement et humainement. Aujourd’hui, si on ne s’est pas parlé pendant deux semaines il me demande ce qui se passe sur WhatsApp. Cet été, j’ai joué en b2b avec lui, c’était très symbolique, j’ai beaucoup stressé, même s’il m’a beaucoup rassuré.
Brawther – « Don’t Go »
Extrait de l’album Endless.
Sorti en 2012 sur mon label, pour une soirée au Batofar, ensuite on l’a vendu sur Discogs uniquement, je faisais des petits mots pour chaque commande, je voulais une relation directe avec les auditeurs. C’était formidable, même si c’était beaucoup de boulot. Brawther était danseur, je l’ai rencontré aux soirées Dance Culture au Djoon. On a beaucoup tourné ensemble aussi. On se voit moins hélas depuis qu’il est parti faire sa vie à Leeds avec une Anglaise, mais c’est la famille.
Michael Mayer – « Amanda »
Extrait de la compilation Kompakt Total 2.
Ce n’est pas mon truc.
Michael Mayer a souvent privilégié le deejaying. Est-ce que dans le milieu on continue à regarder de travers ceux qui comme toi ne sont que DJs ?
Si tu regardes le cours de la bourse, c’est-à-dire le classement de Resident Advisor, tu vois dans le haut du classement Jackmaster, Ben UFO ou Dixon, qui ne produisent pas ou très peu. C’est de nouveau accepté, on ne m’en parle plus. Il y a peu de chances pour que je fasse de la musique un jour et je n’en ai pas honte.
On dit pourtant toujours que le DJ doit sortir un maxi régulièrement pour trouver des dates.
Il faut avoir d’autres cartes dans sa main, moi je suis selector, mais j’ai aussi mon label. Récemment on m’a demandé de faire descompilations aussi. Il faut en effet proposer autre chose aux gens. Si tu n’as aucune actualité, c’est compliqué de tourner indéfiniment. Mais il y a d’autres moyens que le maxi.
Benga – « Crunked Up »
Extrait du maxi « Crunked Up ».
(Il bloque)
C’est Benga, qui a fait une longue pause dans sa carrière en expliquant ses problèmes de drogue, de dépression, etc. Toi-même tu parles des dangers de la vie de DJ.
La fatigue, la drogue, l’alcool, les relations superficielles, la solitude… Il faut être solide. Du coup, j’ai pris une décision radicale il y a un an et demi, j’ai totalement arrêté de boire, arrêté les drogues aussi, même si je n’en ai jamais beaucoup pris. C’est pour me protéger dans un milieu qui pousse constamment à la fête. Certains DJS vivent très bien ce rythme-là, ont pour image de marque d’être foncedés, attirent des foncedés, sans que cela impacte leur carrière. Moi je n’ai même pas 30 ans, mais je ne supportais plus les lendemains de cuite insupportables, quand tu dors deux heures et que tu prends l’avion. Je veux être productif le lundi, pas être en descente trois jours pendant la semaine ou me sentir pourri. Par ailleurs, les relations avec les fans, ce n’est pas la vraie vie. C’est agréable, mais c’est une illusion. La relation avec les promoteurs n’a jamais un gramme d’honnêteté ou de franchise, après ton set, on te dira toujours que c’était génial en te tapant dans le dos, c’est un milieu assez faux-cul. Tout ça déstabilise et de retour chez toi le lundi, tout a disparu. Je suis de nature dépressive, les risques sont présents. Au-delà de tout ça, je ne dois pas mentir, je suis ravi de la vie que je mène, je profite. Mais il ne faut pas imaginer ça comme la vie rêvée, parfois je me sens bien seul et je me demande ce que je fous là. J’entends de plus en plus de gens tenir le même genre de discours que le mien dans le milieu, je commence à songer à monter ma soirée, peut-être d’ailleurs en après-midi, sans alcool… Je vais passer pour un gros relou réac’, mais je me lancerai en assumant. Je suis fier de ce style de vie plus cadré, et si je fais ce métier toute ma vie, comme je l’espère, dans quinze ans je serai bien content d’avoir pris cette décision.