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7 novembre 2023

INTERVIEW|Kendal et David Carretta, un duo aux frontières du réel

par Marion Sammarcelli

Récemment, on vous parlait du clip mystérieux et horrifique, sur fond d’italo-disco, de new wave puis d’EBM, d’un duo qu’on adore déjà : Kendal et David Carretta. À cette occasion, on a voulu en savoir plus sur leur relation artistique, leur nouveau single « Creature », le tournage de la vidéo très eighties réalisée par Clément Bataillon avec Sourdoreille, leur passion pour les séries X-Files et Twin Peaks ainsi que leurs influences musicales communes. Rencontre. 

D’un côté Kendal, figure de proue d’une nouvelle scène techno à la croisée du clubbing et des sonorités des années 1980-1990. De l’autre David Carretta, légende puis pionnier français d’une musique électronique punchy teintée de new wave. En somme, un duo de musiciens explosif et novateur.

Ajoutez à cela leur amour commun pour les films spatiaux, d’anticipation et horrifiques des années 80 et vous obtiendrez un single cinématographique accompagné d’un clip brumeux réalisé par Clément Bataillon, jouant avec les barrières du réel, puis passionnant du début à la fin. Ici, on l’a regardé une quinzaine de fois environ. Avec eux, on a donc pu discuter de ce fameux clip, de ses secrets les plus fous, des références qui s’y cachent… Mais aussi des sonorités composant « Creature », morceau qui s’annonce intemporel. Évidemment, on vous conseille de regarder le clip, ci-dessous, avant de lire l’interview afin d’éviter de vous l’auto-divulgâcher. Bon visionnage et bonne lecture.

 

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Premièrement, comment avez-vous commencé à travailler ensemble ? 

Kendal : L’histoire remonte à 2019. Je jouais au Bikini à Toulouse lors d’une Boiler Room et j’ai passé un track de David ! Comme j’étais un petit DJ local et que je commençais à produire des morceaux, j’ai décidé de lui écrire en lui disant « Hey David, je suis super fan de toi, j’ai joué ta musique à la Boiler ! » (rires). Entre temps, j’ai lancé Ritmo Fatale. Avant même d’être un label, on avait surtout pour objectif de lancer des soirées autour de l’italo-disco, l’EBM… Des sonorités qui n’étaient pas encore très présentes à Toulouse. J’ai donc directement invité David. Le courant est super bien passé, on a tout de suite voulu faire une collab’ ensemble. Puis le covid est arrivé… 

David Carretta : C’est complètement ça. On était super contents d’être invités à Toulouse pour cette soirée. On a bien accroché, on s’est éclatés, la zik était top ! Puis on s’entend très bien d’un point de vue musical. On a beaucoup d’influences communes. 

Kendal : Puis David m’a invité chez lui en Ariège, on a commencé à y produire beaucoup ensemble. Aujourd’hui c’est plus qu’une collab’, c’est la famille, c’est mon tonton David (rires). 

David Carretta : C’est assez rare comme relation entre artistes, on s’apporte beaucoup mutuellement. On a même traversé le covid ensemble (rires) ! La soirée Ritmo Fatale où ils m’ont invité était juste avant : je l’ai vu comme un signe. 

Kendal : En plus, le premier morceau qu’on a fait ensemble s’appelle « No Future« , première sortie de Ritmo Fatale. On y dit « There is no past, no present, no future. Human destroy the nature », on l’a composé aux prémices du Covid… Sans savoir que ça allait vraiment être l’apocalypse (rires). 

 

 

Vous aviez donc collaboré sur le single « No Future », ainsi que sur le morceau « Pastaga« . Cette fois-ci, vous revenez avec « Creature« . Pourquoi avoir choisi d’offrir un clip à ce single en particulier et non aux deux autres ?

Kendal : On a commencé « Creature » en avril 2022. On voulait faire un morceau très inspiré de l’italo-disco, et je me souviens que David m’a fait écouter un track de The Creatures qui s’appelle « Believe In Yourself« . On avait déjà un début de prod’, on a voulu y rajouter des voix alors il a pris le micro et s’est mis à répéter « Créatures ! Créatures ! » On s’est aussi inspirés de ROBOTIKO REJEKTO, ils disent ces deux mots comme on dit « Créatures, Mystère » dans notre single. C’est comme ça que le gimmick est arrivé. Voilà pour la genèse du morceau.

En ce qui concerne le clip, Sourdoreille, la boîte de production qui l’a produit, m’avait déjà proposé de faire un clip il y a quelques années, aux débuts de Ritmo Fatale. Sauf que je n’avais pas de track à dispo… Donc, on l’a fait pour Cate Hortl, une artiste de mon label qui compose des morceaux très cinématographiques. Mais j’avais toujours l’envie, au fond de moi, de re-collaborer avec Sourdoreille. Quand il y a eu « Creature » on savait que ça allait être un track plutôt pop, d’environ trois minutes, dans un format single… Ça se prêtait pas mal au clip. Puis tellement d’images nous venaient en le composant. 

 

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Qu’avez-vous pu vous apporter mutuellement, en montant ce nouveau projet musical ? 

David Carretta : On s’est apporté de tout. Peut-être que Kendal, comme il est plus jeune, a amené une nouvelle vision à laquelle je n’aurais pas pu penser. J’ai tellement de trucs en tête depuis toutes ces années… J’assimile peut être moins bien, car on ne peut pas assimiler toute sa vie non plus (rires). Au bout d’un moment ça devient plus difficile ! On a une manière différente de travailler. Je ne travaille pas forcément de façon plus lente mais, un peu moins intuitive, peut être plus ‘à l’ancienne’ en fait. Kendal propose des choses plus rapidement. Il faut que je cherche, que je me creuse les méninges. 

Kendal : Aussi, il y a une différence de logiciel : David utilise Cubase qui est calqué sur une méthode « oldschool », en fonction de blocs. Tandis qu’avec Ableton, que j’utilise, on peut très vite sculpter une idée, la mettre en œuvre… Après ce qui est bien, c’est qu’on part souvent du matos de David, qui est génial : le Pro-1, le MS-20, le DX7… Ça amène un son iconique, qu’il maîtrise et qui est présent dans toute sa discographie. Il a aussi apporté la voix. Je n’ose jamais en rajouter sur mes morceaux, je suis hyper timide sur ça, même seul… Là ça m’a complètement décomplexé. 

 

© Louis Derigon

 

Pourriez-vous me décrire les inspirations et influences musicales que vous avez mises dans la composition de « Creature » ?

David Carretta : Moi ce sont mes influences habituelles, il y en tellement… Ça s’est limite transformé en tics (rires). Il y a des sonorités qui reviennent toujours dans mes compositions. 

Kendal : Par exemple avec le DX7, on a fait une mélodie de sons de cloche, on a reconstitué plein de petits gimmicks qu’on peut notamment retrouver dans les morceaux de Depeche Mode, ou bien qui ont été repris dans l’EBM… Il y a aussi les samples de break qui montent, ce qui donne un côté épique à la « Enjoy The Silence« , une basse saccadée qui fait penser à la new beat ou encore un petit côté Gesaffelstein avec les voix qui font « Ah » à la fin du morceau. 

C’est donc un mélange de tout, avec un traitement plus actuel que ce soit dans le mix, dans la nervosité, dans la construction. On voulait un track intemporel. On voulait trouver le juste équilibre entre pop et sonorités punchies. 

 

Vous êtes deux artistes de deux générations différentes et vous vous associez sur des références musicales communes. David, est-ce que tu vois en Kendal la relève de cette techno empreinte de new wave, d’EBM, dont tu es un des pionniers français ?

David Carreta : Oui bien sûr ! Dès le début, j’ai senti ce truc-là. C’est ça qui m’a plu chez lui. Et aussi, son enthousiasme m’a rappelé mes débuts. Aujourd’hui je suis un peu plus « vieux con » (rires). 

Kendal : Je tiens a dire que David n’a jamais fait le boomer ou le vieux con avec moi ! Plus sérieusement, tout le monde a les mêmes influences : les gens connaissent Depeche Mode. Mais au niveau des musiques électroniques, mon background c’est David, Vitalic, Kittin, The Hacker… Tous ces artistes qui ont d’abord été influencés par Depeche Mode et qui ont été les premiers à relire la new wave au prisme de la techno. Aujourd’hui, je vois une nouvelle génération qui connait moins David ou The Hacker mais qui découvre ma scène, avec Pablo Bozzi notamment, et se la réapproprie. C’est une sorte de cadavre exquis à travers les époques. 

 

 

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Pouvez-vous nous raconter la genèse du clip de « Creature » ? Comment est-il né ?

Kendal : Il y a tellement choses à dire. Déjà, ce clip, c’est une collaboration en symbiose entre nous pour la partie son, Sourdoreille et notamment Clément Bataillon à la réalisation. On est passé par de nombreuses étapes ensemble. D’abord il a fallu monter le dossier pour obtenir une subvention du CNC comprenant le nom du réalisateur, le pitch, un moodboard

Une fois que Clément a rejoint le projet, c’est lui qui a écrit le clip. Et c’était pas évident de réussir à écrire une histoire qui tient la route en seulement 3 minutes 30 avec les gimmicks typiques des années 80 que l’on voulait : enquête, twist final, plusieurs niveaux de narration… Mais Clément avait exactement les bonnes références. Il a directement su cerner notre univers visuel ainsi que l’histoire que l’on voulait raconter qui est aussi un gros parallèle de la relation qu’on a avec David. Aux frontières du réel, comme dans X-Files. 

 

© Louis Derigon

 

David Carretta : Pour le lieu on a pris la décision de tourner en Ariège, chez moi.  

Kendal : À la base j’imaginais un décor un peu plus urbain, en mode film noir, jusqu’à ce que David et Clément me disent que les bois pourraient être géniaux afin d’enquêter sur une créature. Et c’est vrai qu’avec les lumières, puis la fumée, ça pouvait vite faire ambiance Twin Peaks. 

David Carretta : Donc on est partis Kendal et moi en repérage autour de chez moi. On a trouvé la forêt Bélesta, une très belle forêt de sapins avec une route, des lignes droites… ce qui n’était pas évident à dénicher. Il fallait aussi que ça soit accessible pour toute l’équipe. 

Kendal : C’était l’endroit parfait. Et même les noms des lieux étaient incroyables, assez horrifiques : on a eu le ‘Col de la Croix des Morts’, ‘Le Trou des Corbeaux’, le ‘Pont du Diable’… Après ce repérage ça devenait concret. On a obtenu la subvention du CNC, on en profite pour les remercier d’ailleurs (rires) et c’était parti pour 48 heures de tournage avec une équipe complètement géniale. 

 

Et comment vous-êtes vous procuré cette magnifique Volvo 240 break ?

David Carretta : Elle appartient à un gars du coin et il s’est avéré qu’il bossait dans le cinéma, il la loue souvent pour des films ! Puis, il était chef machiniste, donc il nous a filé un coup de main pour installer la caméra sur la voiture. 

 

© Louis Derigon

 

Dans ce clip écrit et réalisé par Clément Bataillon, on trouve une atmosphère visuelle directement inspirée de X-Files, Twin Peaks comme vous l’évoquiez ou encore Evil Dead. Ce sont vos références, ou les siennes ? 

David Carretta : Ce sont complètement nos références. 

Kendal : En fait on voulait : de la bagnole -ça c’est vraiment le kiff, hein David (rires) ?-, le côté enquête, film noir… Tout ça est venu assez naturellement. Puis Clément est arrivé avec les mêmes références : X-Files, Twin Peaks, Evil Dead… On lui a donné de la matière, notre univers visuel et narratif, puis il a réussi à faire un clip témoignant de tout ça ainsi que de l’héritage qu’il y a entre David et moi dans la réalité. Il a aussi intégré la rose enflammée, qui est le symbole de Ritmo Fatale et la pochette de notre première collab’ avec David, « No Future ». On a été épatés. Il s’est tout réapproprié sans partir dans le pastiche ni le copié-collé.

 

Twin Peaks, X-Files… Ce sont donc des séries qui vous ont marqué dans le passé ? 

David Carretta : Ah oui tout à fait. Je suis un grand fan de David Lynch, c’est ma période. Après j’ai d’autres références mais on ne pouvait pas tout mettre non plus (rires). J’aurais aimé explorer la science-fiction spatiale : du Blade Runner, des trucs comme ça. Des fictions surnaturelles aussi, comme Le Prisonnier. J’adore ces ambiances louches. 

Kendal : Moi je me suis refait X-Files récemment. Ça n’a pas pris une ride parce que c’est basé sur les histoires et pas simplement sur les effets spéciaux. On n’y voit pas grand chose, tout le monde est premier degré mais il y a ce « on-ne-sait-quoi » en plus qui rend l’ambiance étrange. Quand j’ai montré le clip, tout le monde m’a dit que ça ressemblait à du Quentin Dupieux sur le côté bizarre, absurde mais en même temps premier degré. Lui aussi s’est beaucoup inspiré de David Lynch. 

 

D’ailleurs c’est la période d’Halloween, alors je peux me permettre de vous le demander, quel est votre film d’horreur préféré ? 

David Carretta : The Shining peut-être ! 

Kendal : J’allais dire pareil. La première fois que j’ai vu The Shining, j’avais huit ou neuf ans. C’était chez un pote qui avait un home cinema dans sa cave et plein de films sur LaserDisc. Pendant tout le film la pression montait, et là, il arrive la fameuse scène des jumelles. On n’a pas pu terminer le film. Le traumatisme (rires). Mais en tout cas, pendant très longtemps, j’ai loué majoritairement des films d’horreur dans les vidéo-clubs. 

David Carretta : J’ai vu des films d’horreur à peu près au même âge mais il y a plus longtemps (rires) ! J’ai aussi été traumatisé par The Shining.

 

 

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Une anecdote du tournage à nous partager ?

David Carretta : On a beaucoup bossé, on n’a pas trop eu le temps de rire en fait (rires) ! 

Kendal : Ah si, moi il y a un moment où j’ai un peu pris cher quand même. Quand je suis allongé, entouré d’un sac poubelle puis ligoté et que David asperge mon visage avec un jerrican, je me suis littéralement pris la saucée dans la gueule (rires). 

David Carretta : J’avoue que là oui on a bien rigolé. Et la fin du tournage avec toute l’équipe sur le Pont du Diable, c’est un bon souvenir. 

Kendal : C’était les dernières prises. On devait courir sur le Pont du Diable en mocassins blancs à talonnettes et j’avais un talkie walkie dans le cul au travers duquel on nous hurlait : « Courrez ! », « Moins vite ! », « Chemise ouverte ! », « Kendal t’es trop serré ! », « Plus vite ! » (rires). 

 

Kendal

© Louis Derigon

 

Plus tôt, vous disiez qu’il y a un parallèle avec la réalité dans le clip quant à votre relation. Cela veut donc dire que lorsque c’est toi, David, qui transforme Kendal en créature dans le clip, c’est comme si tu lui léguais une partie de tes pouvoirs musicaux ?

David Carretta : Tout à fait ! C’est un adoubement.

Kendal : David me réincarne en créature pour qu’on puisse jouer du synthé ensemble pour l’éternité (rires). Je suis condamné à faire des tubes avec lui jusqu’à la fin des temps ! D’ailleurs, le costume bleu que je porte une fois que David m’a transformé en créature est le même qu’il a sur la pochette iconique de son album le plus connu, Kill Your Radio. Il me l’a légué dans la vraie vie !

 

 

Est-ce que vous pensez déjà à de futurs projets ensemble, en tant que créatures immortelles  ?

Kendal : On a fait tellement de sessions, qu’on a déjà plein de tracks commencés ! On avait aussi l’idée de faire aussi une collab’ avec Asia Argento. 

David Carretta : Après il faut voir si tout ce qu’on a commencé abouti à quelque chose un jour. 

Kendal : Dans tous les cas, bien sûr que je vais inviter David à revenir sur Ritmo Fatale, c’est la famille. Et pourquoi pas sous forme d’EP ! Aussi, on avait joué en back to back auparavant et on va le refaire, ça c’est sûr. 

 

 

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