Simo Cell, le sens du rythme | Portrait + chronique ‘Cupside des sirènes’ đź’ż
Longtemps présenté comme le plus anglais des producteurs français, le Nantais Simo Cell a traversé des périodes de doutes et de remises en question. Une quête de sens qui aboutit aujourd’hui à une musique plus singulière que jamais et à des ambitions nouvelles.
Fer de lance de la scène bass music en France depuis le milieu des années 2010, c’est un Simo Cell apaisé et conquérant que l’on retrouve aujourd’hui. Revenu dans sa ville de Nantes après avoir goûté quelques années à la turbulente vie parisienne, il confie émerger de trois années d’intense boulimie musicale en studio. Les raisons ? Le Covid et la mise à l’arrêt forcée des DJs bien sûr. Mais aussi un besoin de reconstruction personnelle suite à des égarements psychologiques dont il ne fait pas mystère. « Il y a quelques années, j’ai fait face à de grosses angoisses et je me suis tourné vers le développement personnel. Je suis tombé sur un soi-disant livre spirituel qui parlait de méditation et de philosophie orientale. Il s’agissait d’atteindre un certain niveau d’éveil et de se « désidentifier de son propre ego ». Cela m’a séduit au départ, mais c’était un piège. J’ai fini par me battre contre mes propres émotions et surtout par ne plus écouter les autres. En 2020, j’ai réussi à me libérer de tout ça mais j’avais perdu confiance en moi. La musique a été comme une forme de thérapie. » 2020 a aussi été pour le jeune trentenaire le moment crucial d’une prise de conscience écologique avec la publication d’une tribune dans Libération, dans laquelle il s’interrogeait sur son propre impact ainsi que celui plus global de la scène électronique. Un texte qui a beaucoup fait réagir et dans lequel il proposait, entre autres, de remettre en place des logiques de tournées, de réduire le recours à l’avion ou encore de revenir au principe de résidence – comme c’était le cas aux prémices de la scène club. Des idées nobles mais pas forcément simples à mettre en œuvre. « Aujourd’hui, j’ai réduit d’environ 70% mon utilisation de l’avion. Quand je voyage en Europe, je prends systématiquement le train quand le trajet dure moins de dix heures. Quand je vais sur d’autres continents, j’y reste au moins trois semaines. J’essaie de jouer plus souvent en France également. Ça peut paraître dérisoire par rapport aux enjeux mais il s’agit de montrer à d’autres que c’est possible, car c’est tout le système qui est à revoir. »
Envie de liberté
Une quête de sens qui a guidé tout le parcours de Simon Aussel – à l’état civil –, né dans une famille de musiciens classiques – son père d’origine argentine, Roberto, est un guitariste professionnel reconnu. Logiquement inscrit au conservatoire dès l’âge de 5 ans pour étudier le solfège et la guitare, il s’en détourne au moment d’entrer dans l’adolescence. « C’était trop formel, trop académique pour moi. En plus, comme j’étais un « fils de », les profs étaient en train de me former pour devenir une bête à concours. À la fin, j’y allais en pleurant. » C’est lors de ses années lycée qu’il découvre la musique électronique – on est alors au firmament de la french touch 2.0 portée par les labels Ed Banger ou Institubes. « Je sentais qu’il y avait là pour moi un espace de liberté et d’expression que je n’avais pas dans le carcan de la guitare classique, en un sens c’était le contrepied total de mon éducation. » Il se tourne initialement vers le deejaying et mixe dans des soirées à Nantes. « Au départ, je n’avais pas trop de velléités de producteur. » Il comprend cependant rapidement qu’il va devoir proposer ses propres compositions s’il veut se faire un nom sur la scène. Il tâtonne, s’essaie à la Baltimore Music, au 2-step, à la house, à la techno. C’est la découverte du nouveau son britannique hybride entre techno et dubstep aux débuts des années 2010 qui va lui permettre d’affiner son propre style. Des productions basées sur des rythmiques complexes et des basses impénétrables qui résonnent en lui de façon presque subliminale. « Mon approche de la musique a toujours été basée sur les rythmes. Je pense que c’est dû à mes origines latino-américaines. J’ai mis du temps à le comprendre mais c’est tellement présent dans mon son. » La carrière de Simon prend un tournant lorsqu’il publie en 2015 son premier maxi sur Livity Sound, le label de Peverelist. Un petit Frenchy alors quasi inconnu qui apparaît sur l’un des labels références de la bass music britannique a de quoi susciter la curiosité.
Appel du pied
On le retrouve alors convié à Concrete et on le voit se rapprocher du crew marseillais BFDM, lui aussi amateur de musiques hybrides, préférant les chemins de traverse breakés plutôt que les autoroutes rectilignes techno-house. Mais l’approche très britannique de sa musique apporte à Simo Cell une reconnaissance encore plus forte à l’étranger où il se produit toujours aujourd’hui pour environ deux tiers de ses dates. Très porté sur la confection de rythmiques aventureuses, il avoue s’être longtemps senti moins à l’aise avec les structures mélodiques. Un complexe qu’il est parvenu à exorciser. « Je pense que c’est la production du mini-album que j’ai fait avec Abdullah Miniawy (chanteur, poète et trompettiste égyptien, ndr) en 2020 qui m’a débloqué. Maintenant il m’arrive même de commencer des morceaux par la mélodie. » Une aisance nouvelle qu’il met en pratique sur Cuspide des sirènes son premier album à sortir sur TemeT, son propre label. « J’arrive à un moment dans ma pratique de création où je me sens débridé et libre. Avoir ma propre structure aide bien évidemment. Avec ce disque j’accepte enfin l’idée que je suis un artiste, pas juste un producteur de musique club. Il y a sans doute une approche un peu plus pop sur certains morceaux par rapport à ce que je faisais avant. Cet album est aussi un appel du pied pour démontrer l’étendue de ce que je suis capable de faire. J’espère que cela pourra déclencher de nouvelles collaborations. » À l’entendre, toujours dans cette idée d’hybridation et de rencontres, Simon ne souhaite plus rien s’interdire. « C’est sûr que tout ce qui est pop/trap, le côté US, m’inspire énormément. Produire pour de gros artistes pop me botterait à fond. » On voit aujourd’hui avec d’autres tendances comme l’hyperpop que les frontières entre underground, expérimentations et musique mainstream sont de plus en plus poreuses. Et le désormais confiant Simo Cell a clairement une carte à jouer de ce côté-là .
par Nicolas Bresson
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Simo Cell – Cupside des sirènes (TemeT)
Avec une sensibilité pour l’expérimentation et une fascination pour le hasard, Simo Cell a toujours été très novateur dans son approche de la production. Cuspide des sirènes ne déroge pas à la règle. Pensé comme « un récit continu du début à la fin », l’album invite les auditeurs au sein d’une quête musicale unique. Et ce, dès les premières notes de « Prelude To A Quest ». Au fil des morceaux, l’artiste manipule les samples vocaux divers, les transformant en mélodies au milieu d’une toile d’expérimentations électroniques. Dans cet écosystème sonore, il est commun d’entendre des cris d’animaux bizarroïdes, des voix pitchées criardes sortant de nulle part, créant un paysage aquatique plein de vie et de mystère. Une collection progressive de chants de sirènes éthérés émerge tout au long de l’album. Cette descente lente vers les profondeurs abyssales est accompagnée de moments épiques, où les synthétiseurs et les effets sonores nous forcent à nous concentrer et imaginer tous les détails de cet univers aquatique luminescent, rempli de créatures roses étranges. Une sorte de Barbieland bizarre sous l’eau?
Au fil du temps, le protagoniste s’éloigne de la surface, les voix éthérées laissent place à un mélange de bass music et de hip-hop renforcé par des effets spéciaux sonores. Une chose est sûre : ça ne ressemble à rien de ce qu’on a pu entendre auparavant. Rappelant l’univers de BioShock, l’album serait la bande-son parfaite pour un vieux jeu vidéo d’aventures sous-marines. Et ça tombe bien : un jeu vidéo 8-bits a justement été développé spécialement pour écouter l’album sur GameBoy. Une excuse pour ressortir et dépoussiérer cette vieille console pas utilisée depuis une vingtaine d’années. Au final, Cuspide des sirènes laisse la place à l’interprétation personnelle de chacun. Une expérience musicale envoûtante et unique dans les profondeurs d’une créativité folle, repoussant les limites de l’expérimentation sonore.
par Simon Brazeilles