INTERVIEW|Structures : « On a été lassés du post-punk »
Il aura fallu attendre cinq ans pour que Structures sorte enfin son premier album. Intitulé A Place For My Hate, il est le fruit d’un « long travail », des suites de restructurations internes et d’autres déboires, qui n’ont pas pour autant découragé le duo. Désormais fiers de défendre leur nouveau projet, qui sort le 17 novembre sur DIVORCE [PIAS], Marvin et Pierre ont fait de cet album une sorte de confession de leurs émotions… Même les plus orageuses sur leur musique nerveuse et cathartique. Un re-commencement pour Structures, qui sera de passage aux Primeurs de Massy et de Castres, et dont la release party aura lieu le 16 novembre au Nouveau Casino.
Votre premier EP est sorti en 2018, ensuite vous avez sorti des singles, mais A Place For My Hate est finalement votre premier vrai album studio. C’était votre volonté de prendre le temps pour composer ?
Marvin : Non, pas pour écrire forcément, pour digérer toutes les choses qui se passaient dans nos vies. Et pour prendre le temps surtout de faire quelque chose qui nous plaisait, dont on était satisfait à 100%.
Pierre : C’est sûr qu’on n’était pas dans l’optique, au début, de sortir un album aussi longtemps après le premier EP. Mais finalement, on a quand même eu plein de déboires avec notre ancien album. C’est un mal pour un bien, on s’en rend compte aujourd’hui qu’on arrive à avoir un album dont on est fier, où on a eu besoin de tout ce qui s’est passé pour pouvoir le faire, et pour pouvoir le sortir aujourd’hui. C’est un long travail. On a tendance à croire que dès le premier album, il faut que ça sorte tout de suite, et puis c’est un format compliqué aujourd’hui dans l’industrie musicale, qui pose plein de questions. Mais c’est certain qu’il tombe pour nous au bon moment.
J’allais vous demander, justement, si le fait de changer de musiciens a participé à prendre ce temps ?
Pierre : On n’a pas changé de musiciens, on a retiré des membres du groupe, pour se recentrer surtout. Ça nous a permis de prendre plus de liberté.
Tu disais Pierre, que le format album est compliqué aujourd’hui. En quoi il est compliqué de sortir un album aujourd’hui ?
Pierre : C’est un format qui est très questionné. Quand on voit que les gros streamers sortent des EPs, des singles à peu près toutes les 3 semaines, ça ne les amène pas trop à sortir un album. Les albums ne sont jamais vraiment écoutés… Et encore, s’ils sont écoutés en entier. Ça pose aussi question. Au départ, on avait pensé à faire deux EPs.
Donc, à scinder l’album en deux ?
Pierre : Oui, au début on se disait que peut-être que c’était mieux de faire deux EPs, parce que justement ça fera plus de morceaux répartis sur le temps. Et en fait non, on s’est dit « il est quand même temps de faire un truc dans les règles de l’art ».
Mais vous, en tant que consommateurs de musique, vous écoutez des albums en entier ?
Pierre : Ouais.
Marvin : Ouais, quand même. Mais des albums qui sont bien du début à la fin, il n’y en a pas énormément.
Et vous diriez, celui-là il est bien du début à la fin ?
Marvin : On a fait en sorte.
Pierre : On essaie de tout faire pour qu’il soit bien, du début à la fin, sans que les auditeurs s’ennuient, sans qu’il y n’y ait de redondance. On te retourne la question ?
Entre Long Life et maintenant, je trouve que votre son a changé. Il y a des choses intéressantes, mais j’ai l’impression que c’est moins brut qu’avant. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
Pierre : C’est plus produit, c’est plus travaillé. On n’avait pas envie de faire un album attendu, juste comme on l’avait fait avant, enregistrant chacun une partie.
Marvin : Et puis depuis qu’on est à deux maintenant, ça a ouvert plein de possibilités aussi, en termes de production. On a tout fait nous-mêmes. C’est des morceaux qui n’existaient pas en live, qu’on n’avait jamais joué. C’était des nouvelles expériences. Et on s’est autorisé le fait d’enregistrer autant de guitares qu’on voulait, sans se poser de questions. On a été influencé aussi par des artistes qui produisent énormément. Et on ne voulait pas faire juste un album avec des guitares qui sonnent comme le c**. (rires) Non mais je veux dire, il y a des disques qui sont beaucoup moins produits et qui sonnent. Mais on avait envie de se laisser la liberté de faire ce qu’on voulait, d’augmenter un peu la qualité là-dessus, aussi.
Je me posais cette question, parce que ça va aussi avec le style que vous faites. Peut-être que ce sont des attentes que l’on peut avoir pour certains, dont le post-punk.
Pierre : Justement, c’était aussi une volonté de s’en éloigner. Oui, il y a quand même quelques chansons qui sont vénères, mais ce n’était pas une obligation. Ce n’était pas forcément le moment, aussi. Il y a des titres comme « Disaster » ou « Pigs », mais ce n’était pas forcément la temporalité pour des choses aussi énervées quand on l’a écrit parce qu’on se soignait nous-mêmes, de plein de choses. On avait aussi envie d’aborder les choses de manière différente. Aller vers des choses peut-être un peu nouvelles aussi, en assumant plus notre côté plus romantique parfois. Il y avait aussi une vraie envie, peut-être aussi de ma part, de vouloir plus chanter.
Marvin : Voilà, écrire réellement plutôt que de juste faire des trucs vénères. C’est un album de chansons.
Pierre : C’est un album rock, de chansons. On n’a même pas voulu faire un album concept avec, où on travaille sur les transitions, etc. On voulait juste faire un album qui s’écoute très bien avec des refrains qui se retiennent, tout ce qu’on aime. Et des chansons qui s’enchaînent les unes après les autres. Avec nos thématiques, toujours autour de la violence, de l’amour, de tout ça. Tous ces trucs qui s’enchevêtrent et comment les offrir de manière les plus différentes possible. Les deux thèmes sont assez bien représentés, que ce soit l’amour, la haine… Peut-être que le prochain, il va y avoir plus de haine. C’est-à-dire que c’est une période où, je pense qu’on a cruellement manqué d’amour pendant un moment. Et on avait besoin aussi d’en parler.
Ça vous fait quoi de le sortir très prochainement ?
Marvin : Pour moi, il est déjà sorti.
Pierre : On est hyper content. Je pense qu’on ne se rend pas encore compte de ce que ce sera. On a déjà sorti des singles, donc on a l’impression que c’est déjà sorti. Et on ne sait pas trop quel impact ça aura réellement sur la chronologie. Mais c’est déjà bien de pouvoir commencer à le défendre. C’est vrai que c’est la première fois qu’on fait autant de promo, avant même que le disque soit sorti. On a jamais fait de grosses tournées.
Marvin : Mais les gens nous ont d’abord découvert par le live.
Justement, est-ce que ça a eu un impact sur votre manière d’écrire ?
Marvin : Oui, carrément.
Pierre : Ça a un impact, c’est-à-dire qu’on compose comme si on était en live. On imagine toujours les titres en live parce que c’est vraiment le but ultime de ces morceaux, c’est d’exister sur scène. On sait que d’instinct, à force d’avoir tourné autant, on a ce truc en nous, d’écriture très live des morceaux.
Marvin : C’est pour ça qu’on n’a pas fait de concept album de musique de 30 secondes. On pensait avoir le plus de chansons possibles pour faire un nouveau répertoire pour nos lives. Donc on se retrouve avec des setlists qui mélangent certains morceaux d’avant et tout notre album, qu’on a très hâte de jouer.
Et le fait de fonctionner à deux maintenant plutôt qu’à quatre avant, ça change la manière d’aborder la musique ?
Pierre : Oui et non. Parce qu’avant, on ne fonctionnait pas vraiment à quatre.
Marvin : C’était souvent Pierre qui amenait des morceaux et moi je faisais quelques lignes de basse par-ci, par-là. Les autres faisaient le reste en répèt’. Dans la transition, ça n’a pas changé grand chose. Par contre, ça va beaucoup plus vite. C’est-à-dire qu’on sait qu’on est tous les deux sur la même longueur d’onde, on sait ce que sont les attentes de l’un et de l’autre. Parfois, on ne se retrouve pas forcément sur des intentions, donc on doit retravailler un peu chaque chose ensemble. Mais il n’y a pas à convaincre plein de personnes. C’est beaucoup plus fluide, c’est moins de pression.
Il y a aussi un titre qui dure quasiment 8 minutes, qui est quasiment à la fin de l’album. Pourquoi avez vous choisi de le faire aussi long ? Pourquoi il n’est pas en dernier ?
Pierre : Il est en dernier sur le vinyle. C’est le bonus track. Et c’est le deuxième morceau du CD. En fait, on n’a pas choisi de le faire durer 8 minutes. Pareil, c’est un morceau qu’on a fait avec Marvin il y a longtemps. C’est un basse-voix. Et on a cherché pendant très longtemps comment on allait pouvoir l’enregistrer, lui donner une vraie forme. On ne voyait pas d’autres solutions.
Marvin : Et puis à la fin, l’un comme l’autre, on ne s’arrêtait pas d’écrire des lignes de guitare. Il y a un truc très solennel avec ce morceau. Presque…religieux, on va dire. Ça a un côté shoegaze et il aurait pu durer encore plus longtemps. C’est peut-être le plus long morceau qu’on ait jamais écrit, mais il ne pouvait pas faire moins.
Pierre : Ça faisait sens de ne pas s’arrêter définitivement à quelque chose, que ce ne soit pas figé.
Peut-être que vous êtes attachés en particulier au format physique ?
Pierre : Non, pas particulièrement. Mais c’est vrai que figer les choses dans le physique, c’est toujours un truc un peu…
Marvin : Pour moi, c’est plus le rapport à la pochette qui est important. J’achète des vinyles pour les pochettes, sinon j’écoute ça au digital. Par contre, j’ai une grosse collection de vinyle. Parce que j’aime les objets. C’est très rare que je prenne le temps de mettre un vinyle.
Pierre : On y revient toujours. C’est un peu un truc de manque de temps. Mais tu vois, on est aussi très attachés au format CD. Parce que ça nous rappelle des souvenirs. Ça nous rappelle de mettre des albums en entier quand on est sur la route. C’est aussi nos souvenirs d’enfance, d’être avec nos parents et de mettre des albums, des CDs. Il y a ce côté-là, aussi. Le premier truc que j’ai acheté, c’est des CDs. Je sens vraiment un retour du CD très prochainement !
Vous avez dit que vous vouliez vous éloigner du post-punk. Vous diriez que vous faites quel genre alors ?
Pierre : Rock. Il y a des influences de New Wave, de l’indus, shoegaze aussi. Il y a du grunge, mais tout ça, c’est regroupé dans le rock. On n’a plus envie de se prendre la tête. Dans notre album, il y a de tout. Il y a du punk, il y a de la pop…Et puis, oui, le post-punk, on en parlait ce matin, mais on a été un peu lassé, mais c’était quand on a eu toute cette période d’inactivité où on était un peu en pause. Les groupes anglais qu’on entendait : tout le monde faisait du post-punk. On ne savait plus dissocier Squid de Shame, Fontaines D.C, Folly Group, etc.
Marvin : En plus, j’ai jamais été fan de ça. À part le premier Shame, Fontaines D.C, le second.
Pierre : On a tourné un peu le dos à l’Angleterre et on s’est tourné vers les États-Unis. On s’est remis à écouter des albums qu’on écoutait quand on était ados. Et on est plus attiré par les États-Unis que par l’Angleterre, je pense aussi. Au niveau du style et puis même, pour aller y jouer.
J’ai vu que vous êtes allés en Chine !
Pierre : Ouais. Le rock chinois qu’est-ce qu’on peut en dire… C’est très cute, quoi.
Marvin : Ouais, c’est très cute.
Pierre : On sait que, pertinemment, c’est très censuré. La Chine, même nous, on a eu des morceaux qui ont été censurés. Pas partout, pas la majorité, mais quand même quelques-uns.
Donc vous vous verriez faire une tournée aux Etats-Unis ?
Pierre : Ah, carrément !
Marvin : À nos débuts, on nous comparait souvent à la scène de Manchester, etc. que je dissocie avec la scène ce qui se fait en ce moment. Ça ne ressemble pas du tout à la scène de Manchester. Moi, j’en garde encore quelques influences. Joy Division ça restera toujours, New Order, Les Stone Roses, Les Smiths. Même pour moi, Oasis, pour toi, Blur (il s’adresse à Pierre en disant ça). Enfin, tout ça, ces années 80-90 en Angleterre.
Pierre : Le seul potentiel groupe actuel qu’on aime du côté britannique, c’est Fontaines D.C et encore ils sont Irlandais. Avec leur dernier album, je me suis pris une claque. En plus, il est hyper bien produit. C’est Dan Carrey, qui est un monstre, qui a fait ça. C’est aussi ces choses-là qui nous ont intéressés. Pas la musique en soi, mais les albums et les méthodes de production et comment sonne le son. C’est pour ça aussi que l’album est moins brut. C’est parce qu’on s’est beaucoup intéressé au son. On a pris le temps de s’intéresser à tout ça. Vu qu’on n’avait pas trop le choix parce qu’on l’a fait tout seul, il fallait bien que quelqu’un le fasse. Franchement, je pense qu’on a pris un vrai level depuis cet album.
Sur le titre Sometimes il y a la voix de Rebecca Baby, la chanteuse de Lulu Van Trapp. Est-ce que vous allez faire d’autres collabs à l’avenir?
Marvin : Ce n’est pas exclu.
Pierre : Ce n’est pas dans les tuyaux pour l’instant. Parce que c’est un morceau que j’ai écrit avec Rebecca, au départ. Donc, la question était de savoir si c’était juste moi qui chantais ou si on chantait tous les deux. Ça avait vraiment plus de sens et de plus-value de chanter avec elle et de se partager les choses. Ça ouvre beaucoup de choses aussi sur notre musique, je pense.
Maintenant que l’album est terminé, c’est quoi la suite pour vous ?
Marvin : Le défendre, là. En 2024.
Pierre : Et aussi le 16 novembre. Ça va être de jouer le plus possible. Oui, parce que c’est vraiment ça dont on a envie. Le plus possible de pratiquer. On a quand même été à l’arrêt pendant un certain moment. On a lutté. On nous a forcé à arrêter la tournée parce qu’on nous a dit qu’on avait tourné partout. On nous a dit « faut qu’on vous oublie un peu avant de revenir« . On a juste envie de jouer cet album en live, de tourner le plus possible, d’être sur les rotules à la fin de la tournée.
Marvin : Sinon, on joue au Portugal, le 2 décembre. Et en novembre, on joue aux Primeurs de Massy et de Castres, puis la release party le 16 novembre. Et après, ça se passe en décembre.
Pour écouter le nouvel album de Structures, A Place For My Hate, il va falloir patienter encore un peu, en attendant :