20Syl et J. Medeiros, hip-hop AllttArnatif
Un mec qui slamme en grognant, l’air exalté (ok, l’air un peu flippant, la preuve ci-dessous), des gens qui se balancent de la paille en riant, d’autres qui chantent toutes les paroles en yaourt, des cris, des pas de danse, des bras en l’air, des étoiles dans les yeux… Non, on ne parle pas du dernier show de Beyoncé. A vrai dire, on ne parle même pas d’un concert particulièrement attendu. Car les AllttA, à savoir l’alliance entre 20Syl (MC chez Hocus Pocus, membre de C2C) et Mr J. Medeiros (rappeur en solo et chez The Procussions), ne faisait pas partie des têtes d’affiche à Solidays, où le duo jouait à 20 heures samedi dans une espèce d’hagar à foin – loin, très loin des deux grandes scènes où passaient ce soir-là Keziah Jones ou Deluxe.
Etonnant : de The Upperhand, le premier album d’AllttA (« a little lower than the angels ») attendu à l’automne, on ne connait que trois titres, deux sur un EP et un niché dans une mixtape. Même la presse n’a pas pu y jeter une oreille. Et pourtant… Alors que le public des Solidays n’a pas vraiment pu reconnaître de chansons, si ce n’est une reprise de « Hip-Hop » d’Hocus Pocus, rarement on a vu une ambiance aussi électrique sur cette édition 2016 de Solidays. Il s’agissait de leur premier concert officiel avec cette formule (20Syl aux machines, J. Medeiros en MC). Difficile dans ce cas de résister à une bien précise tentation : retrouver les deux compères juste après leur concert pour leur demander de quoi il en retourne, entre spiritualité et inspirations, dans le franglais le plus complet.
Vous démarrez une tournée des festivals à Solidays donc, mais vous êtes aussi attendus à Calvi On The Rocks, au Positivus en Lettonie, à Benicassim en Espagne, à Dour… Alors que personne ne connait vos titres. Ca fait quoi de voir la réaction du public de Solidays ?
20Syl : C’est assez fou de faire un concert comme ça, où 80% des titres ne sont pas sortis, et où les gens sont à fond. On s’attendait à un public plus dans l’écoute, dans la découverte… Mais ils se sont totalement lâché, ça fait vraiment plaisir.
AllttA est un projet bien distinct dans vos deux carrières respectives, et pourtant vous avez repris « Hip-Hop » d’Hocus Pocus en milieu de set…
Mr J. Medeiros : C’est notre histoire, c’est sur cette chanson qu’on s’est rencontré, c’est sur cette chanson qu’on a travaillé ensemble pour la première fois, et voilà qu’on présente enfin un projet à deux : reprendre « Hip-Hop » nous ramène aux racines d’AllttA.
20Syl, tu te retrouves toujours dans ces paroles, dans cette critique du hip-hop tourné vers l’apparence ?
20Syl : Non (rires). Il y a forcément un décalage qui se crée quand tu joues un morceau qui a treize ans, voire plus. D’un seul coup les paroles n’ont plus vraiment d’importance, ça tient plus aux souvenirs qu’elles peuvent générer – et ce sont de très bons souvenirs, le clip de « Hip-Hop » étant par exemple un de mes préférés d’Hocus Pocus. Si j’assume encore les paroles lignes par lignes ? Pas forcément, c’était un délire, je n’avais pas le même âge. Mais bon, ce que je dis dans le morceau est en grande partie toujours vrai, à savoir cette évolution du hip-hop vers le matérialisme. Et pour être tout à fait honnête on ne pouvait pas se passer de ça en construisant ce show, on a forcément pensé au fait que les gens ne connaissaient pas les autres morceaux.
Ça ne te manque pas d’être MC ?
20Syl : Un peu si, le côté performance donne de l’adrénaline vraiment cool que tu n’as pas derrière tes machines. Mais je n’écris presque plus, je passe mon temps à faire des instrus. J’ai l’impression que je ne suis plus à la hauteur pour prendre la plume et écrire un album de rap.
C’est toi qui a réalisé tout le VJing des concerts d’AllttA, peux-tu nous en dire plus ?
Pour chaque morceau il y a une histoire visuelle différente, plutôt inspirée par les textures du son que par les paroles. L’idée était de créer un univers graphique pour chacun des titres sans trop prendre de place sur ce qui se passe sur scène. Par exemple, pour « A Million Dreams », il s’agit juste de lignes parallèles, comme un light show dans l’écran – vu que tu ne pourras jamais avoir un lightshow aussi bien calé ! Sur « Match », j’ai plutôt construit une architecture presque escherienne, avec des escaliers qui se montent au fur et à mesure des cuts dans la voix. Je compose mes visuels comme mes beats, je suis au millimètre pour que chaque élément s’imbrique dans l’autre. Et sur un morceau comme « Drugs », je prends plein d’objets liés aux addictions, de la seringue au paquet de cigarette, et je les fais exploser au fil du morceau. Ces délires sont là pour raconter un truc sans qu’on soit obligé de scotcher dessus.
Le premier titre de la setlist de ce concert à Solidays samplait « Lost It To Trying » de Son Lux. Comment ça se fait ?
20Syl : Le premier beat que j’ai écrit pour cette chanson, « The Woods », était en fait un remix de « Lost It To Trying » de Son Lux. Finalement, on l’a recomposé pour l’album pour se l’approprier vraiment, et pour le live on s’était dit que ce serait cool de faire un clin d’oeil au morceau d’origine. Ca fonctionne super bien parce que les deux harmonies se mélangent parfaitement – et le titre sortira lundi.
Mr J. Medeiros : Mine de rien l’album Lanterns de Son Lux (duquel est extrait « Lost It To Trying ») n’est pas si loin d’AllttA. Ca peut paraître très différent de ce qu’on peut faire dans nos deux projets solos, mais c’est important que les gens se rendent compte que le futur album ne ressemblera pas à Hocus Pocus ou à The Procussions. C’est comme pour les paroles de « Hip-Hop » : on a tous commencé avec idéalisme, et puis on vieillit, on voit les choses différemment, et c’est ça AllttA, ça part aussi d’un questionnement sur nos évolutions musicales.
Il y aura d’autres samples de ce genre sur l’album ?
20Syl : Il y en aura quelques uns, mais ils seront plutôt utilisés en terme de texture ou ce sont des petits bouts de voix, il n’y aura pas de samples évidents et reconnaissables. Je travaille majoritairement comme ça dernièrement. Cela dit, on aime bien faire des choses assez spontanées avec AllttA, comme faire un remix et le balancer sur SoundCloud juste après l’avoir fini. Quand tu fais un album, clearer les samples c’est toujours un peu compliqué et fastidieux.
A ce propos, DJ Shadow vient de sortir son nouvel album sur lequel il essaye de se défaire de son image de « mec à samples ». C’est une référence pour vous sur AllttA ?
20Syl : Je n’ai pas encore écouté le nouvel album, mais c’est évidemment une référence pour nous, en particulier pour moi sur C2C. C’est un énorme digger en plus, il nous a bien traumatisé. Sur AllttA, on digère vingt bonnes années de références et découvertes musicales, dont Shadow fait partie, mais pas que. On n’a pas eu d’album sur notre table de chevet pour cet album.
Mr J. Medeiros : Aucun de nous n’est un petit nouveau dans le game, j’y suis depuis plus de vingt ans personnellement, on arrive à s’inspirer tous seuls. Ou plutôt ce sont les tracks que 20Syl compose qui m’ont inspiré. Je me suis laissé porter par ses textures et ses beats et j’ai essayé de créer quelque chose de nouveau sans non plus trop en faire.
J., on t’a souvent défini comme un « rappeur chrétien », essayes-tu de te défaire de cette étiquette avec ce nouveau projet ?
Mr J. Medeiros : Oui, parce que ça ne rend pas service aux gens qui pensent ça. J’étais très religieux quand j’ai commencé ma carrière, mais je m’en suis éloigné en vieillissant. L’album d’AllttA parle de spiritualité parfois, comme tout ce que j’écris car ma foi fait partie de moi à vie. Et puis c’est un plaisir aujourd’hui de refaire connaissance avec ma foi sans aucun parents, école ou emprise des Etats-Unis pour m’influencer dans ma chrétienté. Vivre cette remise en question tout en écrivant un album est une expérience géniale. Sauf que je ne dirais à personne que je suis un « rappeur chrétien » : quand les gens m’entendent dans mes morceaux dire « fuck off » ou que je veux boire ou coucher à droite à gauche, ils doivent être déçus ! Mais pour les gens qui ont l’ouverture d’esprit pour réfléchir sur des sujets comme la foi ou Dieu, je pense qu’ils peuvent trouver comme un sanctuaire dans notre musique. C’est une philosophie en soi, je me sens plus « philosophique » que « chrétien » dans mon rap.
Tu as récemment sorti un album solo, Milk & Eggs, en précisant qu’il s’agissait de ton dernier album sous le nom « Mr J. Medeiros ». Pourquoi ?
Mon nom aux Etats-Unis était très lié à cette idée de « rappeur chrétien ». Je me sentais oppressé par ça, diminué. Et on m’a mis pas mal de pression pour que je réponde à une certaine étiquette. « Constance », mon premier titre en solo et celui qui a eu le plus de succès, parlait de trafic d’humains. Beaucoup de gens, comme des ONG, ont utilisé ce morceau. Et là je suis devenu cette « marque », le « mec des trafics humains », on m’invitait dans des églises ou dans des conférences pour parler… Ca a complètement occulté l’aspect artistique de mon travail, le morceau est devenu un slogan. J’ai décidé de continuer à sortir de la musique, pour montrer que je pouvais faire autre chose et faire en sorte que les gens oublient cette histoire… Et ça n’a pas marché ! Quand on te met dans une case, tu y restes. Donc j’arrête. Mais rien ne m’empêche de continuer un jour ma carrière solo sous un autre nom.
Côté textes (tous écrits par J. Medeiros), à quoi doit-on s’attendre dans The Upperhand ?
J. Medeiros : Je crois que je suis arrivé à un moment de ma vie où je me considère comme un auteur de chansons, à beaucoup plus travailler les textes. Certains disent que c’est de la poésie, pourquoi pas, mais je ne vois plus comment le rap peut faire autrement. Dans les paroles de l’album, j’essaye de mettre des double sens, voire des triple sens sur ce que je dis. C’est ce qui manque dans le hip-hop aujourd’hui. Tu as d’excellents rappeurs qui arrivent à rapper très vite, tu as plein de voix différentes, du swag en veux tu en voilà, mais quand on regarde le fond, le contenu… C’est l’art oublié du hip-hop. Heureusement je pense qu’avec la nouvelle génération de rappeur ça deviendra à nouveau important. En tout cas ça pourrait être le thème de l’album : on ne déconne pas avec les paroles (rires).